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en raillant : « La fortune est changeante, et tel se croit assuré de ses faveurs qui sera promptement détrompé. » Le lendemain un ordre royal enjoignait à toutes les suivantes françaises de la reine, à l’exception de Mme d’Aubigny, de quitter la ville sur-le-champ et de sortir du royaume.

En entendant cet arrêt, Marie se crut perdue ; elle y vit le présage d’une sentence non moins rigoureuse qui serait portée contre elle-même. La coupe de ses douleurs débordait ; que seraient pour elle les déceptions du passé auprès des tortures qui l’attendaient, si elle était condamnée à revenir en France et à y étaler sa honte, épouse répudiée et reine sans couronne ? Resterait-elle en Pologne ? que deviendrait-elle alors dans ce sombre château, séparée de ses plus fidèles compagnes, privée même de l’appui de la maréchale, dont le séjour ne pouvait se prolonger indéfiniment ? Cependant le bruit de la détermination souveraine s’était répandu ; la reine ne prenait plus soin de dissimuler ses larmes. M. de Brégy et le palatin d’Enhof cherchaient à s’entremettre entre les époux ; tous deux avaient écrit à Wladislas, qui continuait à demeurer inaccessible. Plus hardie qu’eux, la maréchale de Guébriant se résolut à une démarche décisive et demanda une audience.

Wladislas refusa d’abord, alléguant ses infirmités, qui l’empêchaient de se lever. La maréchale insista, faisant observer que son caractère d’ambassadrice lui assurait le privilège de s’adresser directement et sans intermédiaire au souverain auprès duquel elle était accréditée. Le roi n’osa se dérober plus longtemps ; il la reçut couché, après s’être fait habiller dans son lit. Les débuts de la conversation furent difficiles : Wladislas parlait italien et Mme de Guébriant s’exprimait en français. « Leur esprit, dit Le Laboureur, fit le miracle de les faire entendre tous deux. » Il faut ajouter que la maréchale avait eu la précaution d’amener sa nièce, qui comprenait l’italien et servait d’interprète. Il y eut d’abord un échange fort long de complimens et de paroles courtoises ; apercevant à la ceinture de Mme de Guébriant une montre précieuse qui contenait le portrait de son mari, le roi en prit prétexte pour vanter les mérites du défunt et s’extasier sur la beauté du bijou. L’ambassadrice détacha aussitôt la montre et l’offrit a son interlocuteur, qui se détendit d’abord, puis céda, et parut enchanté du cadeau. La glace était rompue, et l’entretien allait prendre un tour plus intime. Aucun document ne nous apprend quelles explications furent fournies au roi sur le point délicat qui formait le sujet de ses inquiétudes ni quels argumens furent employés pour calmer sa jalousie rétrospective. On assure cependant que la maréchale éleva l’affaire et la porta sur le terrain politique. « Le roi de France et la reine mère, disait-elle, chérissent Marie de Gonzague comme leur propre fille, et ils