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la gravité souveraine. » Marie reconnaît le roi son seigneur ; pour arriver jusqu’à lui, elle doit traverser l’église dans toute sa longueur. Elle sent tous les regards se fixer sur elle, s’avance d’un pas tremblant entre la maréchale et M. de Brégy, s’approche du siège où le prince est assis et s’agenouille. C’est l’usage imposé par l’antique cérémonial, mais d’ordinaire cet hommage de la première sujette au maître n’est qu’un simulacre, et le roi s’empresse de recevoir dans ses bras celle qu’il appelle à régner avec lui. Wladislas demeure impassible et laisse Marie s’humilier à ses pieds ; puis, comme elle s’est redressée et se tient interdite devant lui, il se penche vers Brégy : « Est-ce donc là, lui dit-il à mi-voix, cette beauté que vous m’aviez vantée ? » Son visage ne se dérida point quand Mme de Guébriant lui présenta la princesse au nom du roi de France et lui fit valoir ses mérites en termes fleuris. Le chancelier de Pologne répondit par une harangue composée à l’avance ; l’évêque d’Orange voulut parler à son tour et parla longuement, Marie toujours debout en face du siège de son mari, lui la contemplant fixement. Enfin il fit un signe, on le porta au pied de l’autel ; le clergé descendit en grande pompe des profondeurs du chœur, et, tandis qu’au dehors retentissaient les salves de l’artillerie et de la mousqueterie, le nonce du pape renouvela la cérémonie des épousailles.

L’église communiquait avec le château ; l’office terminé, les époux traversèrent de nouveau la longue nef et s’engagèrent dans une galerie qui les conduisit à de hautes salles d’aspect sévère, sans ornemens ni tentures. C’était l’appartement de la reine ; auprès se trouvait celui de l’ambassadrice. Les deux Françaises restèrent seules avec le roi et avec son frère ; l’on servit à souper. « C’était un repas de viandes, dit Mme de Guébriant, effroyables à la vue et mille fois pires au goût. » L’entretien fut embarrassé ; Wladislas ignorait notre langue, et Marie entendait mal l’italien, dont son mari se servait habituellement. Celui-ci ne se départit point d’une cérémonieuse dignité, et le repas était à peine terminé qu’il se fit ramener dans ses appartemens. Jusqu’alors, la reine était restée maîtresse d’elle-même, son orgueil même l’avait soutenue ; le roi parti, son courage l’abandonna ; elle s’approcha de Mme de Guébriant au moment où celle-ci se retirait à son tour, la laissant aux mains de suivantes étrangères, et lui dit tout bas qu’il valait mieux retourner en France. L’ambassadrice comprit que la partie la plus difficile de sa tâche allait commencer.