Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/691

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

âpre et inhospitalière région, d’aspect désolé sous son linceul de neige. Cachée dans de misérables abris, la population semblait avoir disparu du sol ; où la carte annonçait une ville, nos voyageurs trouvaient à peine un village. Le 4 mars 1646, ils traversaient la Vistule sur la glace, lorsqu’à quelque distance en amont ils aperçurent Varsovie, couvrant la rive de ses maisons basses et pressées du milieu desquelles s’élançaient d’innombrables clochers. C’était la terre promise pour nos Français, terre promise, hélas ! qu’il leur était seulement permis d’entrevoir sans y pénétrer, car un ordre du roi leur interdisait pour le moment l’accès de la ville ; il était enjoint à la reine de se rendre dans une maison de campagne située à quelques lieues de Varsovie, et de s’y reposer en attendant que son mari eût fixé le jour de son entrée. Marie demeura plusieurs jours dans cette retraite, épuisée de fatigue, sentant renaître toutes ses angoisses, forcée de subir les visites cérémonieuses, des dignitaires de la cour, mais attendant en vain un appel de son seigneur, une parole d’encouragement qui eût ranimé son cœur. Comme M. de Brégy passait pour avoir su se concilier les bonnes grâces du roi, on l’envoya en éclaireur. Wladislas l’accueillit avec dignité, gémit fort sur son mal, affecta de parler principalement de la dot de Marie, se plaignit que l’argent ne lui eût pas été apporté avec le change, mais consentit pourtant à régler le détail de l’entrée, qui eut lieu le 11 mars.

Lorsque les portes de sa capitale s’ouvrirent enfin devant elle, Marie de Gonzague ne trouva sur son passage ni arcs de triomphe, ni décorations magnifiques comme à Dantzick, mais un appareil militaire, de longues haies de cosaques, de heiduques et de dragons, un rempart de piques et d’épées lui cachant la vue de son peuple. Elle était seule dans un carrosse avec Mme de Guébriant ; celle-ci remarqua alors l’altération de ses traits, ses joues creusées par le chagrin, la pâleur répandue sur son visage ; la maréchale confessa plus tard à Mme de Motteville qu’en ce jour la reine lui parut presque laide : « Le rouge du dépit et des larmes, ajoute Mme de Motteville en rapportant le propos, ne farde point les dames, et la douleur ôte le feu des yeux. » La marche du cortège avait été rigoureusement déterminée ; il fallut passer sans s’arrêter devant le château royal pour se rendre à l’église Saint-Jean, où Wladislas attendait sa nouvelle épouse. L’instant solennel est venu ; les portes de l’église s’ouvrent à deux battans ; la reine paraît sur le seuil. A l’autre extrémité de la nef, emplie d’une brillante assistance, elle aperçoit, dans une sorte de chaire, un vieillard chargé d’embonpoint, superbement vêtu d’un habit brodé d’argent, la mine sévère sous son bonnet de castor, « tenant héroïquement bien, dit Le Laboureur,