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par le roi, la reine et les princes, puis se dirigea vers les Pays-Bas espagnols, exerçant sur son passage les attributs de la souveraineté, recevant les clés des villes et délivrant les prisonniers.

A Péronne, son cortège fut rejoint par un autre presque aussi long et non moins imposant. Péronne était le rendez-vous pris avec Mme de Guébriant, qui y vint directement de Paris, avec une suite de plus de cent personnes. Aussitôt la rencontre opérée, l’ambassadrice prit le commandement de l’expédition et se mit à l’exercer avec la vigueur décidée qui lui était habituelle. La tâche exigeait d’ailleurs une grande fermeté de main ; il s’agissait de gouverner, de conduire à travers la moitié de l’Europe et d’installer sur le sol étranger une petite colonie de Français et surtout de Françaises, colonie turbulente, indisciplinée, où les passions étaient ardentes et où les haines s’avivaient par la vie en commun, le jour dans les mêmes voitures, le soir dans les mêmes hôtelleries. La maréchale avait pris la tête de la colonne, sa litière suivant immédiatement celle de la reine ; après venaient les ambassadeurs polonais, puis l’évêque d’Orange. Dans d’autres voitures se tenaient les amies particulières de Marie de Gonzague et ses dames d’atour ; en premier lieu figurait la compagne préférée, la confidente de toutes les pensées et de toutes les peines, Mme de Choisy, mère du spirituel abbé de ce nom ; elle paraissait inconsolable et ses yeux étaient constamment rougis par les larmes, car la charge de son mari, attaché à la maison d’Orléans, ne lui permettait point de quitter la France, et elle allait se séparer sur la frontière d’une maîtresse adorée. Combien ses larmes eussent été plus amères, si elle eût pu prévoir qu’elle serait la cause innocente des malheurs de la reine ! Plus heureuses qu’elle, Mmes de Langeron et des Essarts, élevées également avec Marie, avaient été admises à la suivre dans sa nouvelle résidence : elles voyageaient avec leur ennemie intime, Mme d’Aubigny. Celle-ci avait réussi depuis peu à s’insinuer dans les bonnes grâces de la reine ; elle était spirituelle et méchante. Compatriote de Marie de Médicis, elle était venue en France fort jeune avec cette princesse, et s’était mariée en Normandie, « vrai pays, dit un contemporain, à raffiner une Italienne élevée à la cour. » Une place et des honneurs spéciaux avaient été réservés à la nièce de la maréchale, Mlle de Guébriant, fort jolie personne, mais d’allures décidées et formée à l’école de sa tante. L’escadron volant des demoiselles d’honneur faisait route à part, dans trois carrosses ; un personnel nombreux d’employés de toute sorte fermait la marche. Marie de Gonzague avait emmené sa maison presque entière ; si elle n’avait pu décider à la suivre le personnage en renom auquel elle avait confié le bâton de maître d’hôtel et qui n’était autre que le