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ressemble à ce qu’un gentleman entend chez nous par ce mot. L’éducation d’un Italien, si parfaite qu’elle soit, ne dompte pas ses passions ; elle n’agit que sur ses manières, qui sont exquises ; il cède sans scrupule à la tentation ; il perd facilement son sang-froid, il blasphème à la légère ; sa douceur est de convention. Chez nous, l’éducation d’un gentleman, — le privilège du rang ou de la fortune ne suffit pas pour assurer ce titre, qui résulte de la moralité, de l’instruction et de l’habitude du monde, — l’éducation d’un gentleman, dis-je, a pour effet de discipliner toutes les impulsions naturelles, de sorte que les bonnes manières résultent naturellement de l’habitude prise une fois pour toutes de se dominer et de se respecter soi-même. »

Le grand canal, les palais, les îles des lagunes ont trouvé peu de peintres aussi expressifs, aussi fidèles que Howells. Il y a une série d’études de la plus charmante couleur dans le petit roman si original intitulé : a Foregone Conclusion, l’histoire de don Ippolito, ce jeune abbé aux yeux mélancoliques et au profil dantesque, qui, en donnant des leçons d’italien à une belle Américaine fixée à Venise, s’éprend pour elle d’une secrète passion qu’exaltent ses admirations d’artiste. Don Ippolito, quoiqu’il appartienne à l’église, est quelque peu païen au fond de l’âme, il adore la beauté ; or jamais la beauté ne lui est apparue plus fascinatrice que sous les traits de miss Florida Vervain. Celle-ci, bonne et naïve, ne soupçonne pas l’impression qu’elle produit sur lui ; elle s’attache avec un mélange de protection et de pitié à ce jeune homme qui est devenu prêtre sans vocation, pour satisfaire les désirs d’une mère dévote et pour se conformer à la tradition qui veut que chaque génération de sa race consacre à Dieu l’un de ses membres. Laïque, il aurait été ingénieur, peintre, musicien, le diminutif, quelque peu fantasque, d’un Léonard de Vinci. Dans leurs conversations, plus intimes que ne devrait le permettre la surveillance bien superficielle d’ailleurs de Mme Vervain et la jalousie du consul américain Ferris, qui est lui-même épris de Florida, don Ippolito avoue que, dans sa révolte de tous les instans contre le joug qui pèse sur lui, il a cessé de croire. — Alors, lui dit l’impétueuse Américaine, pourquoi restez-vous prêtre ? pourquoi restez-vous catholique ? C’est une lâcheté, un sacrilège, le monde est grand, et dans mon pays vous vivriez libre…

Une femme prend la terrible responsabilité de le faire rompre avec sa patrie, ses amis, sa bonne renommée… comment peut-il supposer qu’elle ne veuille pas mettre un peu d’amour à la place ? — Le jour où elle lui confie qu’elle en aime un autre, qu’elle aime Ferris, il reçoit un coup de poignard en plein cœur, et comme il ne