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phénomènes, mais l’état de misère et de souffrance dans lequel est tombée la jeune fille inspire aux sœurs une tendre sympathie. Elles la soignent pendant une longue maladie dont Égérie sort renouvelée pour ainsi dire, prise du besoin irrésistible de vivre d’une vie naturelle et simplement terrestre. Le soleil du printemps la réchauffe et l’enivre ; elle se promène au bras de son père à travers les vergers ; une sérénité inexprimable règne autour d’elle et se communique à ses sens ; il lui semble que la petite ville ascétique fasse partie de cette grande paix. Le feuillage naissant des érables projette sur les chemins son ombre légère ; elle aperçoit au loin la rivière bordée d’ormeaux et de sycomores, des fermes proprettes éparses dans les champs où le travail même est calme et silencieux. A la porte des grandes maisons de famille, construites en briques, une sœur, coiffée du chapeau profond qui dissimule ses traits, va et vient, occupée à quelque besogne ; cette bonne âme jouit du plaisir qu’éprouve la convalescente à cueillir des fleurs, à écouter le chant des oiseaux, tout en trouvant ce plaisir quelque peu profane, mais que ne pardonnerait-on pas à une pauvre enfant qui revient des portes du tombeau et ressuscite avec la nature, pour ainsi dire ? En la regardant, l’un des anciens est lui-même frappé de l’harmonie qui existe entre l’épanouissement de cette jeune existence et le renouveau de toute la campagne ; il cueille quelques branches fleuries et les lui donne.

— Je suis aise, dit-il, de voir une créature humaine paraître aussi heureuse. Il est bon de se reprendre à la vie printanière avec tout ce que le Seigneur a fait.

Boynton se met à discourir sur les influences sympathiques qu’exerce sur nous la nature.

— Notre pays est agréable, n’est-ce pas ? reprend le trembleur. Il y a cinquante printemps que j’assiste à ce spectacle, et j’en suis satisfait autant que la première fois qu’il me fut révélé.

— Révélé ?

— Oui, ce lieu m’est apparu pour la première fois en rêve. J’étais jeune et plusieurs années se sont écoulées avant que, venant ici, j’eusse pu me rappeler l’endroit et tous les gens que j’y avais vus. J’ai compris alors et je suis resté.

— Voici un fait extraordinaire ! s’écrie Boynton. Avez-vous souvenir d’autres expériences du même genre ?

— Non.

— Elles sont pourtant communes parmi vous ?

— Oh ! tous nous avons reçu quelque avis surnaturel, mais nous n’en recherchons pas de nouveaux. Nous nous efforçons de mener la vie angélique, voilà tout…

— Et là-dessus, vous vous trompez, dit le docteur. Ces avis vous