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devrait en exiger trois, comme il le fait pour les estampes, la musique et toutes les reproductions autres que les imprimés.

Quel est l’auteur qui ne se prêterait pas à ce léger sacrifice en vue de la conservation de ses œuvres dans un grand établissement national ? Quel serait l’écrivain assez peu soucieux de son nom pour hésiter à faire arriver sa pensée à la postérité sous la forme la plus propre à en garantir la durée ? Armé de ces trois exemplaires, le ministère de l’instruction publique, tuteur naturel des bibliothèques, assurerait la distribution des exemplaires et pourrait enrichir les collections trop oubliées des départemens.

Ainsi se formeraient parallèlement, et suivant un plan méthodique, trois séries de collections : les bibliothèques locales, les bibliothèques spéciales, et, à Paris, la bibliothèque générale et universelle dans laquelle aucun livre, aucune science ne ferait défaut. Ces trois collections se soutiendraient et se compléteraient l’une par l’autre. L’expérience a démontré qu’il était chimérique de chercher à scinder la Bibliothèque nationale. Dans la science, tous les champs d’étude se touchent : on ne peut les diviser sans rencontrer et atteindre quelque travailleur qui trace son sillon sur les limites idéales qui séparent les domaines. Il faut qu’il y ait un lieu où l’esprit humain sous toutes ses formes puisse recourir à l’expérience des siècles écoulés. C’est l’honneur de notre temps que toutes les intelligences s’appliquent à l’envi, dans l’ordre des lettres, à rechercher les traditions et à les sauver de l’oubli. Qui de nous n’a contribué à cette œuvre de salut ? Qui de nous n’a entrevu dans le passé des sources fécondes où il cherchait en vain à puiser ? Il faut que notre vigilance prépare pour nos successeurs des collections plus étendues et plus sûres. Considéré sous cet aspect, le problème mérite la plus haute attention des historiens. Nul ne peut nier qu’il ne soit urgent d’organiser le dépôt légal sur des bases plus larges, de le soumettre à des règles plus précises et de lui donner pour unique fondement l’intérêt de la science. Pour l’honneur des lettres, espérons que cette nécessité sera comprise.


GEORGES PICOT.