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A chaque réclamation le ministère de l’intérieur répondait par un effort de courte durée suivi de longues négligences. Il devenait évident que l’organisation même du dépôt légal était vicieuse. Le ministère de l’intérieur ne pouvait admettre que son rôle se bornât à une simple transmission. Des deux exemplaires déposés à la charge d’en envoyer un à la Bibliothèque et l’autre au ministre de l’instruction publique, il en était au moins un que le ministère de l’intérieur remettait toujours de mauvaise grâce. Selon le caprice du titulaire de ce département, si changeant en 1848, tantôt les publications relatives aux arts, tantôt les ouvrages sur la révolution étaient retenus pour former une bibliothèque dont le projet s’évanouissait à l’arrivée d’un nouveau ministre.

En 1850, le ministre de l’instruction publique voulut mettre fin à ce désordre. C’était alors M. de Parieu. Il eut le double honneur de prendre à ce sujet une sage mesure et de découvrir le remède ; il chargea une commission d’étudier les moyens d’assurer le service du dépôt légal, et il mit à la tête l’esprit le mieux fait pour s’indigner des abus. Pendant plusieurs mois, sous la présidence de M. de Rémusat, la commission s’enquit exactement de ce qui se passait, parvint par son inspection même à introduire plus d’ordre dans le service et reconnut qu’une loi devait atteindre l’éditeur et non plus l’imprimeur pour mieux assurer la formation de nos collections nationales. Mais le ministère de l’intérieur, préoccupé de la police de la librairie, ne se prêtait pas à cette réforme : il la suivait d’un regard jaloux. Il revendiqua le projet de loi rédigé par la commission, mais s’abstint de le présenter à l’assemblée législative. Veut-on savoir la cause de ce mauvais vouloir ? Voici comment le ministre de l’intérieur jugeait, peu de mois plus tard, la question qui nous occupe. « Le dépôt légal, écrivait-il, le 8 avril 1851, à son collègue de l’instruction publique, a été de tout temps et est avant tout une institution qui se rapporte à la sûreté générale. Accessoirement, il est vrai, des ordonnances ont voulu que les produits du dépôt légal fussent, par l’intermédiaire ministériel, répartis entre divers dépôts publics ; mais c’est là un résultat tout secondaire, accidentel en quelque sorte. »

En méconnaissant audacieusement le but de la loi, les bureaux de la librairie refusaient en réalité de l’exécuter. Ce fut bien pis lorsque par le contre-coup des événemens politiques le service de la librairie fut transporté au ministère de la police. Entre l’instruction publique poursuivant paisiblement les moyens d’enrichir nos collections publiques et le ministre chargé de la police générale, l’entente était malaisée. Il arrivait que, sur cent articles réclamés par la Bibliothèque, les recherches faisaient revenir cinq ouvrages. Tout