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une remise régulière des ouvrages fut troublée et comme obscurcie par deux idées tout à fait étrangères : déjà on l’avait liée à la conservation de la propriété littéraire ; la police de la librairie devait être un bien plus redoutable voisinage.

Voulez-vous éprouver à quel point la notion du dépôt légal est confuse ? Interrogez sur l’origine et le but de cette obligation un jurisconsulte, un préfet. Le premier vous parlera des fins de non-recevoir opposables par le contrefacteur, l’autre de la nécessité de surveiller les brochures politiques. Demandez à un imprimeur pourquoi il dépose les feuilles sorties de ses presses, il vous parlera de la sévérité des lois de presse, de la suspicion du parquet, des tracasseries de la police. A l’entendre, il semblerait que l’imprimerie est traitée en suspecte, qu’elle est l’objet de mesquines recherches, qu’elle a le droit de se soustraire à la persécution, qu’elle défend, en un mot, la liberté de la presse en s’efforçant de ne pas déposer et qu’elle a le droit de chercher à passer à travers les fissures d’une législation incohérente et oppressive.

De cette confusion des principes, de cet oubli du but qu’il s’agit de poursuivre est venu tout le désordre. Depuis près d’un siècle, les collections nationales sont victimes de nos luttes politiques. Il est temps que le mal soit connu.


II

A toute époque, les ministres de l’instruction publique se sont faits les organes des plaintes de la Bibliothèque nationale envoyant périodiquement la liste des ouvrages qu’elle n’avait pas reçus.

En 1842, M. Villemain adressait à son collègue de l’intérieur les plus pressantes réclamations. Il lui demandait si les publications les plus inoffensives, si tel ouvrage d’histoire naturelle, un traité d’archéologie ou les œuvres de Platon, étaient par hasard retenues pour l’examen de M. le procureur du roi. M. Naudet, de son côté, multipliait ses doléances ; dans de longs rapports il exposait le désordre du dépôt, décrivait l’état des réceptions, évaluait les reliures coûteuses que la découverte de lacunes dans les exemplaires avait fait briser et sollicitait un prompt remède. (30 novembre 1842. ) Tantôt l’administrateur de la Bibliothèque signalait des exemplaires tachés et composés de feuilles de rebut ; tantôt, las de décrire les imperfections, il apportait au ministre un ouvrage considérable que l’imprimeur avait déposé en papier gris d’épreuve. (4 juin 1844. )