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Mais qui ne sait combien de livres précieux étaient répandus sans recourir à la protection du privilège qu’il fallait acheter au prix de la censure ? Tout ce qui était publié en Hollande, tout ce qui était censé venir d’Amsterdam, échappait à la Bibliothèque. En France même, des livres, publiés dans les conditions les plus régulières n’ont pas été conservés, et il est vraisemblable qu’ils ne sont jamais entrés à la Bibliothèque du roi la première édition de l’Introduction à la vie dévote n’y figure pas. Rien ne prouve que le cabinet du roi ait jamais possédé un ouvrage de Corneille qui est aujourd’hui perdu : la traduction de la Thébaïde de Stace a été faite par notre grand poète tragique, les exemplaires imprimés circulaient entre les mains des contemporains ; Ménage en a cité quelques vers en indiquant le numéro de la page, et aujourd’hui nul n’en peut indiquer un exemplaire. Les lacunes qu’on signale et qu’on déplore pour des auteurs tels que saint François de Sales et Corneille sont probablement innombrables. Sous l’ancien régime, il se formait donc une collection très riche, mais non une collection complète des livres français. Ce fut en s’occupant de constituer la propriété littéraire et sur le rapport de Lakanal que la convention prescrivit le dépôt à la Bibliothèque de deux exemplaires de tout ouvrage imprimé ou gravé. Le législateur poursuivait à la fois deux buts : il voulait fonder la propriété littéraire et assurer nos collections nationales. De même que l’ancienne monarchie avait lié le dépôt au privilège royal, il imagina de subordonner l’action en contrefaçon à la preuve que le dépôt ordonné par la loi avait été fait. La loi du 19 juillet 1793 ne faisait naître la propriété littéraire et les actions qui en dérivent, contre le contrefacteur que du jour où la publication était entrée à la Bibliothèque. Malheureusement cette sanction n’assurait pas la remise de l’ouvrage, au moment où il paraissait. L’auteur qui n’avait pas déposé était non recevable à intenter une poursuite ; mais il lui était loisible de n’effectuer le dépôt que le jour où il formerait sa demande, où il entamerait la poursuite : il n’y avait ni date prévue ni délai fatal. Pendant toute la durée de la propriété littéraire, le dépôt pouvait être ajourné ; puis il suffisait, pour obéir à la loi, qu’un reçu du dépôt légal daté de la veille fût joint à la demande formée, dix ans, vingt ans après l’impression, lorsqu’une contrefaçon apparaissait.

Un : autre danger se manifesta en 1810. La librairie fut assujettie à des mesures de police. Le dépôt légal de la loi de 1793 fut transféré à la préfecture de chaque département. Un exemplaire sur cinq était destiné, il est vrai, à la Bibliothèque impériale, mais la surveillance politique prit le pas sur toute autre considération. A dater de cette époque, la pensée d’enrichir nos collections par