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admoneste le dauphin et lui reproche ses intrigues galantes avec Diane de Poitiers ; une dépêche arrive d’Angleterre annonçant la mort de Henri VIII ; qu’on se représente le livre X des Mémoires de Du Bellay mis en action. Un pèlerin demande à être introduit ; le roi refuse :

J’en ai depuis huit ans,
Assez, pour mon malheur, vu de ces charlatans.


Mais, au dire du jeune Ambroise Paré, celui-ci mérite plus de confiance, il connaît le mal, en décrit un par un tous les symptômes comme s’il les avait éprouvés. Le dauphin supplie, Duchâtel insiste et Guillaume Cop, le médecin ordinaire, appuie en murmurant : « Qui sait ? » Sur un signe de François Ier, tout le monde se retire. On devine la scène qui va suivre, palpitante et d’un effet immanquable bien que cent fois reproduite depuis le tragique tête-à-tête de don Juan avec la statue du Commandeur. Nous parlions tout à l’heure du quatuor de Rigoletto et voilà maintenant le nom de Mozart qui s’impose à nous. Serait-ce donc que la musique est au fond de toutes choses au théâtre et qu’elle en ressort fatalement, tantôt pour illustrer, éterniser une situation existant déjà comme dans le Roi s’amuse, tantôt pour la créer d’autorité comme dans Don Juan, où Molière à peine l’avait entrevue ? Rappelons-nous l’antiquité grecque, Eschyle et ses chefs-d’œuvre, qui furent, au vrai sens du mot, des mélodrames. — Resté seul avec François Ier, le pèlerin commence par l’inquiéter et l’amorcer haineusement. C’est encore, si l’on veut, Triboulet, mais Triboulet tenant en main sa vengeance au lieu de la piétiner dans le vide.

FRANCOIS Ier.
Quel homme êtes-vous donc qui me parlez ainsi ?
FERRON.
O roi ! ton œil s’est-il à ce point obscurci,
Qu’il mette si longtemps à reconnaître un homme ?
Çà, regarde-moi bien, faut-il que je me nomme ?
Je suis Ferron[1].
  1. Cherchez à l’acte V du Roi s’amuse, scène III.
    TRIBOULET.

    Je te tiens ! m’entends-tu ? C’est moi, roi gentilhomme ;
    Moi ce fou, ce bouffon, moi cette moitié d’homme,
    Cet animal douteux à qui tu disais : Chien !
    M’entends-tu ? Je t’abhorre !


    Le diable est que François Ier n’entend pas et que Triboulet sue là sang et eau à dauber sur un sac. Ferron, lui, du moins, ne se venge pas en effigie et quand il frappe à coup redoublés, c’est sur le vif.