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D’un moment à l’autre son mari peut rentrer ; elle supplie le roi de s’éloigner ; il obéira, mais à condition de revenir dans la journée lorsque Ferron sera sorti : « Comment le saurai-je ? dit François Ier. — Il n’est que ce moyen, lui répond sa maîtresse en le menant vers la fenêtre ; le logis en face

Est à l’un de vos gens, allez-y ; j’agirai
Si bien avec Ferron que je l’éloignerai,
Dès qu’il n’y sera plus, j’ouvrirai la fenêtre
Que voilà, c’est le signe où vous pourrez connaître
Que je suis seule. Allez ; mais pas avant, mon Dieu !


Le roi s’esquive par la porte dérobée et presque aussitôt l’avocat se montre. Il arrive tout courant du petit Châtelet : « Femme, viens m’embrasser ! Si tu savais quel succès ! » Et là-dessus il se met à lui débiter sa plaidoirie avec une telle ardeur qu’il ne remarque rien, ni l’attitude rêveuse et distraite de sa femme au début, ni son trouble qui s’accentue de plus en plus à partir d’un certain endroit du récit, car il s’agit d’une affaire criminelle et de sauver la tête d’un honnête bourgeois qui a tué sa femme pour l’avoir surprise aux bras d’un gentilhomme. La belle, maintenant, prête l’oreille, elle écoute, palpitante d’émotion, cette histoire dont chaque mot lui semble une allusion à son propre adultère. Tout à coup, l’avocat s’interrompt : « Eh ! mais que vois-je donc là-bas ? » Il vient d’apercevoir un coffret oublié sur un escabeau :

Cela ? C’est ma marraine,
Comme dame d’honneur attachée à la reine,
Dont c’est demain la fête, et qui m’a fait cadeau
De la robe fourrée ainsi que du bandeau.


Ferron examine et, tout en admirant, prémunit sa femme contre les séductions d’un luxe qui ne peut que nuire à la bonne renommée d’une bourgeoise, et il ajoute qu’elle-même, les méchans propos ne l’ont pas épargnée et qu’on a osé prononcer à son sujet le nom du roi. À ces mots, la Ferronnière, n’y tenant plus, s’évanouit ; elle étouffe : « De l’air ! 1 de l’air ! » s’écrie le mari et, se précipitant vers la croisée, il l’ouvre. C’est le signal que guettait le roi, il entre, les voilà en présence l’un de l’autre. La situation est superbe, et la scène qui suit entre les deux hommes, très haut montée sur le ton dramatique et pathétique.

J’avoue que ce premier acte m’avait saisi et qu’après l’avoir lu je me demandais comment l’idée n’était pas venue au directeur de l’Odéon de profiter du moment pour lancer la pièce dans les courans du Roi s’amuse ? Mais, diable ! je ne connaissais pas le second acte.