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LE ROI.
Bien dit ! — Mon page, amène ici la Ferronnière…
……..
Et du page qui court une torche à la main,
Le mantel d’or pourtant flotte sur le chemin,
Car il sait avertir la belle Ferronnière. —
Mais dans sa chambre où dort la lampe funéraire,
L’avocat à l’œil dur est en habits de deuil ;
Il se penche pour voir sa femme en son cercueil,
Et dit : Le duc d’Étampe eut pour lui la Bretagne,
Bien ! au lieu du remords le mépris l’accompagne ;
Châteaubriant eut peur, et n’ouvrit qu’un tombeau,
Sa vengeance boiteuse oublia le plus beau.
Mais certes qui verrait cette femme en sa couche,
Avec ce maigre corps, ces longs bras, cette bouche
Convulsive, où la mort ressemble à la douleur,
Qui n’a plus rien d’humain, pas même la pâleur ;
Qui verrait ce cadavre et se souvient de l’ange,
Celui-là frémirait, sachant comme on se venge.


Je cite ces vers comme signe des temps et non « à aultre fin, » car ils sont faibles, mais il me fallait montrer l’humus poétique retourné, labouré dans tous les sens et d’où la riche moisson devait sortir. Le drame de Victor Hugo et le drame de Félix Arvers sont deux produits d’une même venue ; seulement l’un a survécu, il règne, on le discute, on l’applaudit chaque soir au soleil du lustre, et de l’autre il n’est plus question. Cherchons un peu si cet oubli est mérité et si au fond de cette espèce de maculature ignorée ou dédaignée de ceux-là même qui professent tant d’enthousiasme pour « l’immortel sonnet, » il n’y aurait pas tels vers ou telle situation dignes de notre estime. Ferron a surpris François Ier aux genoux de sa femme et l’apostrophe en ces termes :


C’est un étrange abus de ce que la naissance
A mis en votre main de droits et de puissance !
Que vous avais-je fait, et quelle trahison
À cette préférence a marqué ma maison ?
Ai-je forfait aux lois ? suis-je un sujet rebelle
Ou tardif à payer la taille et la gabelle ?
Ou bien suis-je entaché d’hérésie, et dit-on
Que ma voix ait prêché Luther et Mélanchton ?
J’étais calme et joyeux ; le travail et l’étude
Suffisaient au bonheur de cette solitude ;
J’étais heureux, j’avais une femme et jamais
Vous ne pourrez savoir à quel point je l’aimais !
Elle m’aimait aussi, j’en suis sûr, et ma vie
Aux puissans de la terre aurait pu faire envie !
Quel infernal génie a donc guidé vos pas
Chez un pauvre bourgeois qui ne vous cherchait pas ?