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de succès théoriques et avide seulement de résultats, homme à prendre et à perdre le pouvoir pour inscrire dans la constitution un mot, ou pour obtenir du pays, par une consultation différente, une chambre semblable ? Il voulait une loi électorale pour avoir d’autres élus. Le scrutin de liste brisait les influences qui s’étaient emparées de chaque arrondissement et n’en dépassaient pas les limites ; il permettait d’élever sur une base plus large des candidatures nouvelles. Le vote sollicité de la chambre était la préface de changemens médités dans le personnel politique. La retraite de Gambetta fut plus probante encore et plus sévère pour la chambre : dès qu’il n’espéra plus la changer, il n’avait plus rien à faire avec elle et aimait mieux abandonner le gouvernement que gouverner avec son parti. Cet échec, loin de le décourager d’ailleurs, avait affermi sa volonté. Ses entretiens exprimaient cette pensée toujours présente, dont l’exécution seule était reculée. L’épreuve lui avait montré que l’existence ministérielle est de nos jours trop fragile pour porter un grand dessein. Pour restituer au néant la plupart de ceux qu’il en avait tirés, pour appeler à la vie politique des hommes capables de servir les intérêts publics, il se promettait de mettre à profit les sept ans de pouvoir que lui apporterait un jour ou l’autre la présidence de la république.

Mais pour atteindre le suprême pouvoir, il lui fallait garder l’influence sur ceux qui disposaient de la première magistrature. Or, c’étaient les chefs et les élus de la faction qu’il avait jugés. Manifester trop haut ses dédains, tenter trop tôt de lever au service d’une autre politique une nouvelle armée, c’était tourner contre lui-même la force qu’il avait faite, et peut-être se laisser surprendre au moment décisif entre le parti nouveau dont il n’aurait pas su vaincre la défiance et son ancien parti dont il aurait volontairement excité les actives rancunes. Déjà les propos où il ne dissimulait pas ses desseins, joints à la tentative qui les avait trahis, commençaient à le rendre suspect. Aussi se bornait-il à donner à la France le gage de quelques amitiés rassurantes et de quelques paroles sages égarées à dessein dans la fougue de ses harangues ; et il demeurait attaché aux personnes, aux programmes, aux foules qui avaient fait sa popularité, esclave à son tour de ses créatures et réduit à attendre de ceux qu’il méprisait en secret la souveraineté pour s’affranchir d’eux.

Or l’évolution qu’il ne pouvait accomplir, il ne pouvait la permettre à personne. Un mouvement qui eût donné à l’ordre un programme, des chefs et un parti ne laissait à Gambetta que la première place dans l’opposition. La tentative seule était une usurpation sur ses projets, elle débauchait ses futurs soldats ; en opposant une