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du parti qui l’a créé. Toute transmission de pouvoir est une crise, nulle n’égale les difficultés de celle-là. Dissoudre un parti organisé et organiser en même temps une force qui le remplace, dépouiller ceux qui ont créé le régime au profit de ceux qui l’ont subi, se défier de ceux qui sont prêts à le défendre et se confier à ceux qui sont indifférens, c’est ajouter à une lourde tâche les apparences de l’ingratitude et presque de la trahison. Mais l’ingratitude envers les partis est une vertu d’état, et la trahison se commettrait contre le pays si l’on reconnaissait à qui que ce fût un droit de domination sur lui. La justice commande d’abolir cet ordre privilégié qui prétendrait au pouvoir au nom de services passés, de donner aux nouvelles fidélités rang comme aux anciennes, de briser les combinaisons trop étroites où les factions s’isolent. La fidélité ordonne de vouloir la vie du régime qu’on aime. Or les faits contiennent leur continuel enseignement : ceux qui sont capables de ramener un principe de l’exil, et, s’il y retourne, de l’y suivre, ne sont pas capables de le maintenir au pouvoir. De moins dévoués, qui ne l’ont pas souhaité et qui, s’il disparaissait, n’en porteraient pas le long deuil, sont plus aptes à le faire durer. Aussi il n’y a pas d’exagération à dire qu’un régime est fort le jour où il a pour lui ceux qui ne le souhaitaient pas, et contre lui ceux qui l’ont fait.

Quand les Stuarts reprirent le chemin de l’Angleterre, ils étaient entourés par les compagnons de leur mauvaise fortune. Ceux qui avaient préparé leur retour, les dévoûmens éprouvés, les amis de la première heure eurent seuls leur confiance et le gouvernement : le gouvernement ne dura pas. En France, à la même époque, l’histoire de nos malheurs est l’histoire des triomphes exclusifs des partis. Dans leurs efforts pour s’arracher le pouvoir, c’est la France qu’ils déchirent, et sa fortune s’abaisse jusqu’à ce qu’apparaisse Henri IV. Celui-là, par sa naissance, sa religion, est un roi de parti, et c’est par l’épée de son armée protestante qu’il conquiert son royaume. Les huguenots, ses conseillers, ses amis, qui l’avaient conduit du fond du Béarn sous les murs de Paris, attendaient la suprématie, il ne leur donna que la tolérance : lui-même se fit catholique, c’est-à-dire qu’il se soumit à son tour à la nation qu’il avait domptée, prit parmi elle ses conseillers, gouverna avec ceux et pour ceux qui l’avaient combattu, ou plutôt mêla de sa main royale les factions hier ennemies, de telle sorte que toutes les divisions s’effacèrent. C’est pour avoir fermé son cœur aux souvenirs qu’il prépara à la France de glorieux jours et à sa maison un trône solide pour deux siècles. Avec la révolution recommence le gouvernement des partis exclusifs, défendant la pureté de leurs doctrines. Ils tiennent à honneur de rester ce qu’ils étaient en arrivant au pouvoir et se remplacent vite faute d’avoir demandé