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est le triomphe d’une minorité sur la résistance passive ou la répulsion manifeste de la nation. Cette minorité, seule présente à la victoire, occupe par la force même des choses les positions abandonnées, et remplace le régime qu’elle détruit. Au lendemain de toute révolution, le pays est aux mains d’un parti.

Ce parti ne représente pas la nation. Par cela seul qu’il s’est séparé d’elle pour atteindre son but, il a montré un tempérament distinct, plus passionné, plus absolu ; le droit qu’il s’est arrogé de devancer l’opinion et de la contraindre au besoin, témoigne de vertus où il entre peu de respect pour elle, comme son audace à affronter l’inconnu atteste qu’il ne prenait pas conseil des intérêts, résignés d’ordinaire plus au mal qu’au changement. Enfin, ce n’est pas assez qu’il soit différent du pays, il vaut moins, quelque drapeau qu’il élève. C’est la fatalité des causes les meilleures, les plus pures, les plus justes, dès qu’elles deviennent révolutionnaires, de n’avoir pour défenseurs ni les meilleurs, ni les plus justes, ni les plus purs parmi les citoyens.

Il est impossible que leur nature ne se retrouve pas au pouvoir, impossible qu’ils ne tentent pas de gouverner la nation comme ils l’ont prise d’après leur propre sentiment, impossible que, dédaigneux la veille des intérêts, ils en acquièrent à la fois le souci et l’intelligence ; impossible qu’ils aient la notion de leurs devoirs envers les personnes ; impossible qu’ils ne se défendent pas des concours tardifs comme d’usurpations contre eux-mêmes, qu’ayant été à la peine, ils partagent volontiers l’honneur, qu’ils se croient tenus à de la bienveillance envers les adversaires, les suspects ou les tièdes, c’est-à-dire à peu près tout le monde. Si bien que la révolution semble d’abord faite contre le peuple lui-même. Pourtant c’est pour lui seul que tout changement doit s’accomplir, c’est contre les partis surtout qu’il importe de défendre la majorité : ils ne doivent pas occuper plus de place dans l’état que dans la nation. Celle-ci, qui n’appartient à aucun, hier hostile aux nouveautés parce qu’elles sapaient le pouvoir établi, aujourd’hui ralliée parce qu’elles sont le pouvoir, indifférente aux théories, occupée de résultats, porte à travers la diversité des régimes la constance de ses traditions et de son génie. Et pour la comprendre il ne suffit pas de l’effort, ou plutôt l’effort est vain, il faut avoir sa nature. Ses interprètes véritables sont les hommes qui, fidèles non-seulement à ses idées, mais à ses instincts, et, si l’on veut, à ses préjugés, ne se sont jamais séparés d’elle, subissent dans tous leurs mouvemens l’attraction de la majorité, et jusque dans leurs variations gardent l’unité la plus nécessaire aux politiques, la fidélité à leur temps. De là une conséquence : le gouvernement ne doit pas rester aux mains