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hostiles, des idées semblables, des intérêts identiques, comme il y a une langue commune, et craindrez-vous toujours de réunir autour de vous trop d’adhésions et de faire par vos actes trop d’heureux ? Et si une peur moins avouable encore vous arrête, la peur que votre résolution ruine votre popularité et menace votre existence, considérez votre situation présente, son prestige et sa sûreté. Vos oreilles sont-elles de marbre que vous n’entendiez pas les arrêts prononcés contre vous ? Chaque jour, des voix plus nombreuses les répètent, et le désordre que vous avez flatté vous a choisis pour première victime. La démagogie est un fauve : on ne l’apprivoise pas, on le dompte ou il dévore. N’auriez-vous que le choix du trépas, sachez marquer pour cette fin votre place parmi vos amis véritables et faire face à vos adversaires. Préférez-vous. le sort de ces faibles Césars qui se succédèrent au faîte du monde, abandonnant les rênes au caprice du peuple, de peur de l’irriter et dans l’espoir de vivre ? Ils ont vécu, en effet, jusqu’au jour où le caprice, exaspéré par l’obéissance même, se tournait en révolte contre son impérial instrument, où le peuple envahissant le palais, que ne gardaient plus ni l’estime, ni les services, ni la force, trouvait le César tremblant derrière quelque tapisserie, et achevait par un dernier coup ce pouvoir à qui ses fautes avaient enlevé d’avance la dignité de la vie, et sa peur la majesté de la mort.


VII

Une seule crainte pourrait troubler les courages et la bonne foi. Nul doute que la politique présente ne soit funeste à la république. Mais n’est-ce pas la tuer aussi que tenter une réaction ? Les hommes contre lesquels il s’agit d’engager la lutte, l’organisation qu’il s’agit de détruire, ce sont les hommes dont l’attachement au régime actuel est public, c’est l’organisation qui a fait triompher le régime même, et quand ces états de la république auront été brisés, elle-même restera-t-elle debout ? Il ne faut jamais se dissimuler les choses : le succès de cette entreprise, c’est en effet la direction des affaires enlevée au parti républicain. Mais prétendre que la défaite du parti républicain prépare la perte de la république, c’est méconnaître la loi même qui préside à l’affermissement et à la chute des pouvoirs.

Tout gouvernement doit être conforme aux volontés du pays. Or, la difficulté de représenter le pays se trouve, pour tout gouvernement, dans sa naissance même. Si les plus fiers de leur légitimité croient qu’ils ont été formés par l’opinion publique, ils n’ont appris l’histoire que de leurs illusions. La commune origine des pouvoirs