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courage et du dévoûment comme de la peur, et ils seront étonnés de leurs conquêtes, quand leur parole ajoutera son autorité à l’éloquence des fautes qui déjà se fait entendre. Tour à tour se détacheront des injustices présentes et ceux qui veulent la paix et la dignité de la France au dehors, et ceux qui veulent la paix et la liberté au dedans, et ceux qui veulent l’ordre dans les dépenses, et ceux qui le veulent dans la rue. La vérité aura rompu les liens qui aujourd’hui les emprisonnent et terminé le règne de ceux qui les tenaient captifs en les trompant. Le peuple est comme la mer : le trouble qui l’agite a soulevé une écume qui la couvre, mais l’écume n’est ni la mer ni le peuple, et le premier souffle qui passera sur elle laissera reparaître les calmes profondeurs de la raison publique. Quand on considère ce qu’est le pays et ce qu’il devrait être, sa décadence commencée et sa grandeur encore possible, la misère honteuse des partis et les vertus survivantes de la nation, et le faible effort qui suffirait pour changer l’avenir d’une impulsion, à la vue du sénat impassible, on songe à la colère de Michel-Ange en face de son Moïse et comme le sublime artiste, on serait tenté de frapper au genou le législateur immobile et de lui dire : « Puisque tu vis, parle donc ! »

Oui, vous qui portez dans vos mains les tables de la loi, c’est une voix plus sacrée que celle du génie même, c’est la patrie qui vous le demande : montrez que vous êtes vivans. Sa délivrance peut être votre œuvre. Pour vous détourner des grandes choses, il n’y a que de petites raisons, et les petites raisons ne sont des raisons que pour les petites âmes. Vous auriez à vous déjuger ! Est-ce se contredire que mettre ses actes en accord avec le vrai ? Est-ce à lui ou à votre amour-propre qu’appartient votre fidélité ? Et vous, qui ordonnez à chaque citoyen de sacrifier à l’état sa vie même, ne lui pouvez-vous sacrifier la vanité de n’avoir jamais failli ? Vous réhabiliterez les hommes fermes qui ont lutté durant votre longue faiblesse ; mais, en reconnaissant leur courage, vous les aurez égalés, car rien ne coûte comme de donner raison à qui n’a pas de tort. Vous romprez ainsi avec vos amitiés ! Faut-il nommer de ce nom les liens où votre indépendance était captive, que l’estime n’a pas formés, que la crainte seule noue encore ? Vous ne pourrez empêcher le mal qu’avec le concours de la droite ! Singulière délicatesse, plus difficile sur la compagnie que sur le vote. D’ailleurs n’êtes-vous pas les plus nombreux, n’est-ce pas elle qui votera avec vous, n’avez-vous pas assez fait ses affaires sous prétexte de vous séparer d’elle, et n’est-il pas temps de l’employer à servir les vôtres ? Serez-vous plus fiers que vos ministres, sauvés par elle plus d’une fois ? Serait-ce une si grande étrangeté qu’il y eût, même entre des partis