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l’ordre législatif, il paraîtra avoir plus de droits au gouvernement. Il sera d’autant plus fort qu’il demandera moins pour lui-même et davantage pour ses idées. Quand il ne ramènerait pas la chambre au respect de la constitution, du moins il aura plaidé sa cause devant le juge souverain de la constitution et de la chambre. Le procès ouvert et poursuivi sans faiblesse ni impatience durant la législature sera tranché au moment où expireront les pouvoirs des députés. Et même si les circonstances ne permettaient pas d’attendre, s’il fallait la chute immédiate d’un pouvoir que la chambre s’obstinerait à soutenir, pour libérer le pays de la banqueroute, de l’anarchie ou de périls extérieurs, la dissolution offre au sénat le moyen de remettre à la France, avant qu’il soit trop tard, le soin de se sauver.


VI

Qu’on attende le terme légal des pouvoirs conférés à la chambre ou qu’on le devance, la grande question est en effet de savoir ce que veut la nation. Il est aisé de répondre d’avance en sa place qu’elle sera avec la chambre populaire et de prédire au sénat un nouveau 16 mai. L’histoire ne se recommence que dans les circonstances analogues, et loin que le sénat en manifestant une volonté replace la France dans la situation créée par le 16 mai, il la libérera d’une équivoque née à cette date et qui pèse encore sur nous.

Au 16 mai, le pays a répondu à une provocation d’apparence monarchique par une acclamation républicaine. Il a affirmé une forme de gouvernement, non une politique. La politique choisie satisfait-elle tous ceux qui avaient voulu le gouvernement ? Nul n’osera le prétendre. Mais comme cette politique, combattue par les monarchistes, est soutenue par presque tous les républicains, l’opinion considère la république et le système en vigueur comme inséparables ; elle s’est jusqu’ici résignée à la mauvaise politique pour garder le gouvernement et accepte même les mesures révolutionnaires par esprit de conservation. C’est l’histoire du pays sous tous les régimes ; sa patience dure jusqu’au jour où les maux dont il souffre l’emportant sur ceux qu’il redoute, il accepte, pour changer de politique, de changer de gouvernement. L’intervention du sénat peut empêcher que cette alternative se pose. Pas plus que la chambre il n’est suspect de rêves monarchiques. S’il manifeste des vues différentes, il sera prouvé que deux assemblées également dévouées à la république ne l’aiment pas de même. Ce jour-là, l’opinion rassurée sur l’existence du gouvernement deviendra libre d’opter entre deux politiques.

Alors, elle n’aura plus tout résolu, en disant qu’ici est le sénat