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par la dissolution son conflit contre la chambre. En renommant celle-ci, le pays avait désavoué les deux autres pouvoirs. Et même quand la présidence eut changé de titulaire, même quand le renouvellement partiel eut donné la majorité aux républicains dans le sénat, l’un et l’autre demeurèrent frappés d’impopularité. L’apparence d’une hostilité contre la chambre aurait suffi pour menacer leur existence même. Telle est la suite et le châtiment des tentatives mal conçues. Non-seulement leurs auteurs y risquent leur personne ou leur pouvoir, mais ils paralysent jusque dans les mains de leurs successeurs les instrumens dont ils se sont mal servis et les idées justes qu’ils ont usées.

Ce mal était un gain à la fois pour les démocrates inflexibles qui ne consentaient pas au partage de la souveraineté entre deux assemblées, et pour les démocrates ambitieux qui avaient, sous prétexte de concorde, persuadé à la chambre d’abdiquer entre leurs mains. Peu importait qu’elle fût docile, si au sénat éclatait la rébellion des intelligences : là ils voyaient assemblés leurs rivaux et leurs maîtres. Immobiliser ces forces, c’était à la fois réaliser le rêve d’une assemblée unique, et trancher d’un coup toutes les têtes du parti républicain. S’il ne fut pas difficile d’éveiller la fierté de la chambre et de la convaincre que toute opposition contre elle serait un attentat contre la France, il ne fut pas plus difficile d’appeler sur ces dispositions les inquiétudes du sénat et de le persuader que tout acte d’indépendance serait une alliance avec la droite et une attaque à la république. Deux ressorts poussés, ici la vanité, là la peur, chaque assemblée se trouva prise à son piège. Certains au sénat le devinèrent sans y tomber, mais la chose était prévue. L’indignation de la presse, la colère de la chambre, les calomnies et les insinuations éclatèrent contre eux avec un fracas bien réglé. Les meneurs ne dissimulèrent pas que les imprudences de quelques-uns mettaient en péril le corps entier, et en s’associant au trouble de la chambre haute le portèrent au comble. Alors le sénat lui-même devint le gardien le plus vigilant de son abdication et ne songea plus qu’à défendre sa vie contre ceux qui voulaient sauver son honneur. Pour qui tenait à se duper, des motifs plus nobles justifiaient cette défaillance. La résolution de décourager les partis hostiles par l’immuable union des vainqueurs, et, illusion immortelle de la faiblesse, l’espoir de gagner quelque influence en s’abstenant d’exercer ses droits, servirent aussi à persuader au sénat de devenir assez inutile pour que nul ne songeât à le supprimer. Ainsi les sages acceptèrent sans protester les premiers actes de la chambre : ils croyaient chaque fois n’adhérer qu’à une injustice, ils formaient une tradition. L’habitude est surtout en politique une servitude. Bientôt le souvenir