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forcé, sans plus de droit, les mêmes enceintes, souffleté l’église et arraché la croix jusqu’au front des demeures sacrées où grandit l’enfance et où repose la mort. Ce corps judiciaire même auxquels ils livrent les coupables et dont la fermeté les rassure, ils préparent sa destruction. L’armée enfin, cette raison dernière des républicains comme des rois, si elle n’est pas atteinte par la menace, l’est par la faveur ; pour l’attacher plus directement à un parti, on cherche en elle des créatures ; l’inégalité des conditions faites aux mérites égaux y sème des divisions, des souvenirs amers, et ainsi va diminuant sa force avec son unité. Étranges défenseurs de l’état, ils faussent de leurs mains inconscientes les instrumens du pouvoir, et ne soupçonnent pas même que, pour les faire durer, il les faut faire respecter ; que, pour les faire respecter, il faut les respecter soi-même.

Elle est donc vaine la tentative de diviser les républicains en libéraux et en autoritaires. Non que l’idée soit fausse, mais pour l’appliquer il faudrait d’abord apprendre ce qu’est l’autorité aux autoritaires, et aux libéraux ce qu’est la liberté.


IV

D’ailleurs le plus nécessaire est-il de choisir entre la liberté et le pouvoir, quand tous deux sont menacés à la fois ? Vivons-nous dans ces temps réguliers où les partis élèvent leurs différends de détail sur les bases solides de la prospérité publique, où chacun travaille à loisir au triomphe de sa philosophie politique ? Il s’agit de ne pas permettre que s’achève une désorganisation déjà commencée. L’urgence des périls ne laisse pas plus de place à la lenteur des remèdes qu’à la variété des moyens ou à la grandeur des espoirs : elle porte avec elle la leçon des devoirs simples qui s’imposent aux hommes d’état.

L’ordre est troublé dans les finances. Il faut pour le rétablir que les dépenses nécessaires soient limitées, les superflues proscrites. L’ordre est troublé dans le pouvoir politique. Il ne revivra pas tant que les ministres n’auront pas recouvré leur autorité naturelle sur leurs agens et les chambres sur l’opinion. L’ordre est troublé dans les esprits. Pour qu’il y renaisse, le gouvernement doit abandonner toute entreprise sur la liberté des consciences, et comprendre qu’il est fortifié quand le peuple fortifie lui-même sa soumission aux lois de son attachement à une loi morale ; reconnaître que la loi morale a pour fondement nécessaire ou tout au moins universel les croyances religieuses, et, partout où elles existent, les respecter comme la plus sûre barrière à la menace constante qu’élève, dans une