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la main de la police, c’est sous le fer de la loi ; elles invoquent la justice : la police défend aux magistrats de juger, et les ennemis de tout arbitraire approuvent. Ceux en qui tous les droits individuels ont été violés par le gouvernement n’ont pour connaître de leur plainte qu’une assemblée de fonctionnaires nommés et révocables par lui, et ceux qui avaient voué aux tribunaux d’exception une haine irréconciliable applaudissent et ne veulent plus même inscrire dans la loi, de peur que les victimes ne l’invoquent, la liberté d’association. Pourquoi ? Parce que ces hommes, ces citoyens sont des moines, parce que la religion, ennemie de la tolérance, doit être exceptée de la tolérance. Admirable prévoyance qui, pour sauver la liberté dans l’avenir, la supprime dans le présent ! Qu’est-ce à dire d’ailleurs ? Que les représentans de doctrines dangereuses sont hors du droit. Et quelles sont les dangereuses ? Celles qui semblent telles aux détenteurs du pouvoir. Mais s’ils voient aujourd’hui des périls dans des doctrines religieuses, n’en verront-ils pas demain dans des doctrines politiques ? S’ils se donnent la mission de défendre la république, manqueront-ils au devoir de défendre leur république, non-seulement contre des moines, mais contre des laïques, même contre des républicains ? Leur arbitraire aura-t-il d’autre limite que leur danger, c’est-à-dire leurs craintes ? Leur rigueur ne croîtra-t-elle pas à mesure que grandira dans le pays la force des idées proscrites ? Et qui leur a donné l’infaillibilité nécessaire pour proscrire des idées ? N’est-ce pas dès lors l’omnipotence de l’état qui écrase la pensée ? et quelle différence sépare de la dictature une liberté qui luit pour les seuls amis ou pour les adversaires impuissans ? C’est en face de leurs adversaires les plus déclarés et les plus redoutables que les hommes de liberté doivent confesser leur principe. Pour les républicains, la religion était l’épreuve, précisément parce qu’elle était l’ennemie. Et ils ont succombé à l’épreuve de façon à n’avoir plus eux-mêmes le droit d’invoquer la liberté.

L’autre groupe se vante d’aimer l’état, craint uniquement qu’il soit porté atteinte à cette grande force et se consacre à l’accroître. Il n’en veut rien laisser usurper par les autorités locales, professe pour la décentralisation un mépris mêlé d’inquiétude, proteste que la nomination des maires rendue aux conseils municipaux dans les chefs-lieux de canton est un péril public, et pleure sur l’unité française quand on songe à établir des conseils cantonaux. Il ne consent pas davantage que des individus mettent obstacle à l’harmonie générale dont le gouvernement doit être l’auteur et le gardien. A tout attentat social ou politique il prépare la ferme répression des lois, et, s’il le faut, de l’armée. Il ne recule pas pour défendre l’ordre devant les moyens préventifs ; la société est pour