Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elles paient ? Voilà pourquoi les questions de personnel prennent une subite importance, pourquoi, les vacances ne suffisant plus aux demandes, on épure sans cesse les fonctionnaires, pourquoi, les places manquant encore, chaque jour on ajoute aux anciennes de nouvelles. Et cependant les places manquent toujours, il faut faire plus grand, la nécessité, mère des ressources, donne aux hommes d’état du génie. Comme leur regard parcourt la France, cherchant en vain ce qu’ils n’ont pas livré déjà à la convoitise des solliciteurs, ils découvrent que le plus vaste des services publics, les chemins de fer, est entre les mains des particuliers, ils constatent le nombre de fonctions et d’avantages dont ces services disposent, ils rêvent ce butin, et voilà pourquoi devient une question capitale le rachat et l’exploitation des voies ferrées par l’état. La raison dernière de la politique est de répandre et les faveurs et les traitemens.

Or qui dispose des traitemens et des faveurs ? L’administration. C’est donc elle que les candidats engagent par leurs promesses ; pour les tenir, c’est elle qu’ils doivent dominer. A peine députés, en effet, leur premier soin est d’absorber tous les pouvoirs sur le territoire où ils sont élus. Non-seulement les préfets et les agens politiques, mais les fonctionnaires de tous ordres n’appartiennent plus à l’état seul : l’état les propose, le député les nomme. Il le faut pour armer celui-ci contre les rivalités qui le menacent, il le faut pour que, lié à sa fortune, chaque fonctionnaire réserve les postes et les avantages dont il dispose aux protégés de son protecteur. Mais ces agens peuvent peu de chose, leur rôle se borne à proposer la solution des affaires importantes, elles se décident aux ministères. C’est donc aux ministères que les députés doivent être aimés ou craints, mais obéis.

Aussi quels soins nouveaux dans l’existence d’un homme public ! Chaque matin, les sollicitations l’éveillent, les lettres et les audiences l’assaillent par toutes les formes de demandes. A l’importance du demandeur se mesure aussitôt la légitimité de chaque prétention et l’urgence d’y satisfaire. Ce n’est pas à dire que celles de moindre importance soient destinées à l’oubli : on ne peut désobliger personne quand on dépend de tous, et il faut se souvenir que les petits sont aussi les plus nombreux. Cette dette que chaque jour ajoute aux jours passés devient la créance du député sur l’état ; pour la poursuivre dès que les portes des administrations publiques s’ouvrent, il y pénètre et souvent les a toutes à parcourir. Partout il doit se ménager des intelligences, savoir qui est accessible, par quels moyens, à quelles heures, se faire divers comme ceux dont il a besoin et faire surtout qu’ils aient besoin de lui. Les impossibilités qu’on lui objecte ne sont, à ses yeux, que des refus, les refus que des ajournemens, les ajournemens que des espérances ; quand Il insiste, il défend son bien ; quand elle résiste, l’administration ne