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Mais voici que la prospérité des finances s’effondre et qu’apparaît à tous les yeux le déficit. Voici que des menaces la démagogie passe à l’action et que l’ordre social reçoit les premières sommations de la dynamite. Quand on veut réprimer le mal, apparaît son étendue. Une province, ou complice ou paralysée par la terreur, les témoins muets devant la justice, la justice elle-même obligée de suspendre son cours par peur de manquer à ses devoirs, et les accusés seuls tranquilles et menaçans. Le pays voit avec stupeur que l’ordre de la rue lui-même est devenu précaire. C’est alors que les républicains dont le témoignage est le moins suspect jettent un cri d’alarme. Et il semble entendre la leçon qu’une voix prophétique donna un jour à la prospérité apparente de l’empire : « Il n’y a plus une faute à commettre. »


II

De toutes les fautes, la plus grave est de ne pas leur trouver de remède. Jamais on ne l’a plus cherché, jamais on n’en a plus discouru, mais quelles idées traversent le tumulte des paroles ? Deux qui forment une contradiction. Les uns, pour tout réparer, demandent que les républicains forment deux grands partis, et travaillent au triomphe soit d’une politique d’autorité, soit d’une politique de liberté. Les autres répondent qu’ajouter la discorde aux difficultés présentes est tout perdre. L’union des républicains paraît au gros du parti une nécessité de salut public ; le ministère actuel s’est formé pour la resserrer, et hier, sur le cercueil de celui qui en fut le défenseur, les compagnons de son œuvre prêtaient serment de la maintenir.

L’union des républicains, il est vrai, a fait la république, et tant que la république n’était pas faite, cette union était légitime. Tous étaient d’accord sur la chose sinon principale, au moins la plus urgente, sur la forme du gouvernement. Mais il y a des victorieux qui doivent demeurer ensevelis dans leur triomphe : quand les républicains tinrent le pouvoir, tout ce que pouvait produire l’accord était accompli. Il s’agissait désormais de gouverner, et les hommes associés dans le combat professaient sur le gouvernement des doctrines diverses, inconciliables. L’heure arrivait de former des majorités exerçant le pouvoir et des minorités gardant l’espérance de le conquérir. Seulement il est rare que les choses finissent au moment où elles perdent leur raison d’être. Quand des hommes ont combattu, souffert, vaincu ensemble, il se forme entre eux des liens que la logique ne tranche pas d’un seul coup. Le sentiment que le succès était dû à la concorde, le désir de conserver cette force à un régime naissant les détournaient de briser dans