Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV

Monastère de Humatch, 13 juin.

… Me voici encore une fois sous le toit hospitalier des frères franciscains. Désirant voir en passant les antiquités de Vido, l’ancienne ville des Narentins, je quittai donc hier matin Metkovitch pour aller, à quelques kilomètres à l’est, m’embarquer dans un petit bateau plat qui m’a amené à l’autre bord, au milieu d’une forêt de roseaux des moins rassurans pour la stabilité de notre esquif. Ce bras de la Narenta, qui n’est aujourd’hui qu’un très profond marécage, était, je crois, l’ancien lit du fleuve devant servir de port à la ville romaine, l’antique Narbona, déjà célèbre cinq siècles avant notre ère et qui fut annexée à Rome en 168 avant Jésus-Christ par Lucius Amnius. A peine débarqué à Vido, j’aperçois des fragmens de colonnes et d’énormes pierres couvertes d’inscriptions, adossées au mur de la première maison et qui attendent mélancoliquement qu’on leur fasse une bonne route, ou qu’on leur creuse un port pour les transporter au musée de Spalato, à qui elles appartiennent. Où sont les temples de Jupiter, de Diane et de Bacchus, qui ornaient cette riche colonie ? En 639 de notre ère, la ville et ses monumens furent réduits en cendres par une horde d’Avares et, quelques années plus tard, les Slaves, appelés par Honorius, prirent possession de ces lieux dévastés et y bâtirent une nouvelle cité dominée par un temple du dieu slave dont le nom Vido ou Vito, christianisé plus tard en saint Vit, s’est perpétué jusqu’à nos jours.

De Vido à Humatch nous suivons une voie romaine parfaitement reconnaissable, et qui, laissant à droite la vallée de la Trébézatz, passe par les sommets où se trouvent les tombeaux slaves que l’on m’avait indiqués. Ces tombeaux sont, du reste, analogues à ceux que j’ai vus dans le rester de mon voyage, bien que plus ornés ; la tradition populaire les attribue aux patarins, hérétiques du moyen âge. Patarins ou catholiques, ce sont évidemment des tombes slaves antérieures à la conquête musulmane. Ce n’est pas ici le lieu de m’étendre davantage sur les observations que m’ont suggérées les nombreux spécimens que j’ai étudiés pendant mon voyage.

… Il y a à Humatch six prêtres, dix clercs étudians et quatre garçons de service. Les deux monastères catholiques de l’Herzégovine, Cirokibrjeg, fondé en 1844 et contenant vingt-cinq pères et quinze profès, et Humatch, à peine terminé, avec leurs curés paroissiaux, comptent seulement une cinquantaine de prêtres dépendant du vicaire apostolique de Mostar.