Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confluent de ce fleuve et de la Kroupa et dont on voit encore près de la route quelques ruines pittoresques. À cette époque aussi, l’importance commerciale de Gabella était assez grande pour que la France ait jugé à propos, en 1693, d’y nommer un consul ; c’était un Grec du nom de Giovanni Millo.

… C’est ici, à deux pas de la frontière, que naquit l’insurrection de 1875 ; les habitans des villages de Dracevo et de Rasno s’assemblèrent en armes sur la route, au pont de la rivière Kroupa ; mais ils eurent d’abord une attitude toute pacifique : ils laissaient passer les voyageurs et même les zaptiés, disant qu’ils faisaient la guerre aux begs et non pas au sultan ; c’est à une demi-lieue en arrière, vers Mostar, au moulin de Struge, sur la Narenta, que les véritables hostilités commencèrent. Le meunier était un musulman qui, offensé de l’attitude prise par les raïas des villages voisins, refusa de moudre leur grain ; les paysans de Goritsa voulurent l’y contraindre ; le meunier, aidé par les gendarmes, se défendit, et c’est ainsi que partirent les premiers coups de fusil. Les chrétiens ayant été repoussés, les Turcs, par représailles, envahirent la nuit suivante Goritsa, qu’ils pilèrent et incendièrent ; ils profanèrent même l’église et le cimetière chrétien, où ils déterrèrent les corps d’un homme et d’un enfant. Ces attentats furent suivis de l’incendie de Doljani, village frontière, puis de l’assassinat d’un père franciscain, et bientôt les catholiques, terrifiés, se soumirent sur l’ordre de leur évêque Kraljevitch. Mais l’étincelle avait jailli et d’autres incendies s’allumèrent au loin dans les deux provinces.

C’est après Doljani que nous pénétrons en Dalmatie, au milieu d’un paysage désolé de rochers nus qui rappellent les solitudes espagnoles et où la chèvre des montagnes elle-même a peine à se nourrir. Bientôt après nous entrons dans la malpropre et fiévreuse petite cité de Metkovitch, où, à mon grand regret, je suis obligé de m’arrêter pour prendre quelques dispositions nouvelles.

C’est là, en effet, que je dois me séparer de mon excellent guide M. Zörnleib, qui va rejoindre directement par voie de mer Trieste et Venise. Pour le remplacer, M. Wiet, notre consul à Mostar, a bien voulu me prêter Nicolas, son kawas, qui parle italien, et qui m’accompagnera jusqu’au bout de mon voyage, car, avant de quitter l’Herzégovine, je veux voir des tombeaux chrétiens situés non loin du couvent de Humatch, près de Ljubuski ; et de là je regagnerai un point quelconque de la côte.