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Hranitch. D’après la légende, son nom (de Blago, trésor) lui vient de ce que le trésor des ducs y était déposé. Cette forteresse, qui fut pendant près de cent ans la capitale de l’Herzégovine et qui était alors formidable, fut néanmoins prise part les Turcs en 1483. C’est encore une ruine imposante du haut de laquelle on jouit d’une vue splendide.

Un curieux phénomène naturel, — dont les exemples ne sont, du reste, pas très rares dans le pays, — se remarque à Blagaj. On y voit reparaître la rivière Zalonska, qui prend sa source au mont Mornitch, près du Montenegro, parcourt toute la plaine de Névésigné et disparaît sous terre au pied du Veletch, près du village de Bukvitcha, pour reparaître ici après avoir traversé souterrainement tout le plateau de Dubrava. On raconte à ce sujet qu’un pâtre de Névésigné, ayant un jour jeté son bâton dans la Zalonska, ce bâton fut retrouvé par son père, meunier sur la Bouna à Blagaj. Le père et le fîls mirent à profit cette découverte. Chaque jour, le pâtre tuait et jetait dans la Zalonska un mouton que son père repêchait dans la Bouna, et aux observations de son agha, qui s’étonnait de voir ainsi disparaître son troupeau, il répondait en mettant le méfait sur le compte des nombreux loups de la contrée. Enfin l’agha conçut des soupçons, fit surveiller son pâtre et le surprit un jour jetant sa proie dans la rivière ; le lendemain, le meunier, au lieu d’un mouton, repêcha le corps décapité de son fils.

Le village de Bouna, agréablement situé au confluent de la rivière de ce nom et de la Narenta, est remarquable par son pont de quatorze arches dont on attribue, comme toujours, la construction aux Romains. On y voit aussi une mosquée. C’est là que se trouvait la maison de campagne où fut arrêté en 1851, par Omer-Pacha, le vizir Ali-Pacha Rizvanbegovitch, qui gouverna l’Herzégovine pendant vingt ans, et qui, presque indépendant de fait, avait voulu rompre le faible lien de vassalité qui le rattachait à la Sublime-Porte. La vie de cet aventurier mérite que l’on s’y arrête quelques instans.

Ali Rizvanbegovitch appartenait à la noblesse renégate d’Herzégovine, et ses possessions héréditaires étaient à Stolatch. Cependant, une insurrection des seigneurs musulmans ayant éclaté en 1831, il donna son aide au sultan, ayant réussi à entraîner les raïas chrétiens de ses domaines en les leurrant de belles promesses et en leur garantissant sur toutes choses que leurs diverses redevances seraient abolies et remplacées par un impôt unique et annuel de 100 paras. L’insurrection étouffée, la Sublime-Porte, reconnaissant les services d’Ali, lui donna le gouvernement de l’Herzégovine, érigée pour lui en vizirat indépendant de celui de Bosnie. Le pacha s’empressa alors d’oublier ses sermens aux chrétiens, et pour se faire pardonner,