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car c’est le seul passage qui existe sur la Narenta jusqu’à son embouchure.

La capitale actuelle de l’Herzégovine a été peuplée originairement, si l’on en croit la tradition, par des chrétiens latins, qui y avaient encore un évêché au XVe siècle et qui seraient venus s’y établir à l’abri du poste militaire romain d’Andetrium. La moitié de la population du casa de Mostar est catholique, ce qui n’empêche pas la ville elle-même, avec ses dix-huit mille habitans, de compter, outre ses églises latines et grecques, quarante mosquées, dont la plus remarquable est celle de Karageuz-Beg. On voit que messieurs les imans, muftis, muezzins et autres acolytes de Mahomet sont ici en pays conquis. Quoi qu’il en soit, cette ville a toujours été plus attirée vers l’occident et l’Adriatique, où la conduit tout naturellement la vallée de la Narenta, que vers l’orient, dont la séparent les inextricables défilés des Planina bosniaques. On s’aperçoit, en y entrant, que l’influence de Venise et de sa colonie dalmate a toujours été grande ici, et si l’architecture, la langue et les paysages sont bien jougo-slaves, on sent à un je ne sais quoi d’italien que l’Europe occidentale n’est pas loin. Au point de vue des tendances politiques cependant, c’est au sud, vers la Tsernagora, que se tournent les yeux de l’ancienne capitale des ducs de Saint-Saba, et l’on m’a montré de la ville le sommet montagneux qui la domine vers la gauche et sur lequel, lors de l’invasion des Austro-Hongrois, les soldats du prince Nikita étaient arrivés de leur frontière en une journée de marche rapide à travers les hauts plateaux. Malheureusement pour eux, le drapeau des Hapsbourg flottait depuis le matin même sur la tour de Mostar, et ce coup de main slave, — qui pouvait amener des complications graves s’il avait réussi, — était manqué.

Mostar est le centre d’une culture toute différente de celle de la Bosnie. En effet, à partir de Kojnitsa, le climat est changé, la température beaucoup plus élevée, les sources beaucoup plus rares, le sol beaucoup plus rocheux ; on entre dans un pays exposé aux chauds rayons du midi et dans lequel la vigne, le figuier, l’olivier et le grenadier viennent à merveille. Les Herzégoviniens ont, sur ce point, conscience de. la supériorité de leur contrée sur celle qu’habitent leurs voisins du Nord ; aussi ont-ils coutume d’appeler les Bosniaques avec une pitié dédaigneuse des « mangeurs de prunes » (slivari). Dans la vallée de la Narenta, on vit aussi beaucoup plus dehors que sur l’autre versant des montagnes ; les cafés à l’italienne sont assez nombreux, et le règne de la granita[1] commence.

  1. Sorte de glace ou sorbet italien.