montagnes qu’il semait çà et là sur la terre comme un laboureur sème le grain dans un champ. Or, comme il passait au-dessus du Monténégro, le sac vint à crever, si bien que les montagnes tombèrent pêle-mêle sur le sol, où elles prirent racine et formèrent la Tsernagora, que M. Guillaume Lejean compare à un énorme gâteau de cire aux mille alvéoles, et M. H. Delarue à une mer houleuse pétrifiée.
On peut en dire tout autant de la partie sud de l’Herzégovine ; mais ce n’est pas seulement par leur aspect physique que ces deux contrées se rapprochent ; il s’est fait entre elles, à toutes les époques, un va-et-vient continuel de population qui se renouvelle à chaque commotion politique. La famille qui gouverne le Monténégro est elle-même originaire de l’Herzégovine. Les Petrovitch de Niegutchi ou Niegostch sont en effet, venus au XVIe siècle du Mont-Niegotch en Herzégovine, pour s’établir au pied du Lovchen, dans un canton alors désert, auquel ils donnèrent leur nom en souvenir de leur lieu d’origine. En 1697, un descendant du premier Petrovitch émigré, ayant été élu vladika (prince-évêque) sous le nom de Danilo, fit déclarer le pouvoir héréditaire dans sa famille et fonda ainsi la dynastie qui règne encore sur le Monténégro.
Mostar signifie en slave vieux pont[1] ; ce nom ne prévalut qu’au XVe siècle ; jusque-là les Slaves l’appelaient Vitrinitcha. Sous la domination romaine, cet endroit portait le nom de Andetrium ou Mandetrium. Le pont de Mostar est d’une seule arche et s’élève à 80 pieds de hauteur, à un endroit où la rivière se rétrécit entre deux rochers. On le croit d’origine romaine ; il fut construit, dit-on, en 98 après Jésus-Christ, sous le règne de Trajan ; d’autres pensent que c’est l’œuvre d’Adrien. Les Turcs, voulant s’en réserver l’honneur, l’attribuent à leur sultan Soliman le Magnifique. Lui et d’autres l’ont certainement beaucoup réparé ; le sultan Mehemet y fit travailler en l’année 1659, comme l’indique une inscription qui y est encastrée. Il serait peut-être plus prudent d’admettre qu’il a seulement pris la place d’un ouvrage romain et fut reconstruit par les Slaves, sans doute au XVe siècle lorsqu’en 1430 Badivoj-Gost, chambellan du duc Stéphan, s’installa dans cette localité, qu’il agrandit et qui prit alors son nom actuel. Les deux grosses tours, plus pittoresques que terribles, qui défendent de chaque côté les portes du pont, m’ont paru être de cette époque. Quoi qu’il en soit de la date de construction du pont, il est certain que c’est aujourd’hui une des curiosités de la ville, et la principale ; il est, comme tous ses pareils, très aigu, très étroit et absolument insuffisant pour les besoins modernes, ce qui ne le rendait, du reste, que plus facile à défendre. Son importance commerciale a toujours été considérable,
- ↑ Most, pont ; star, vieux.