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modifier singulièrement les choses. Il est clair que, depuis quelque temps, dans tous ces rapports entre l’Allemagne et la Russie, entre Vienne et Berlin, il y a des énigmes plus faciles à distinguer qu’à déchiffrer. Il est plus visible encore que l’Italie, si elle n’y prend garde, glisse par degrés dans une crise à la fois intérieure et diplomatique où elle peut, d’un jour à l’autre, se trouver aux prises avec les difficultés les plus graves, les plus sérieuses peut-être qu’elle ait eues à surmonter depuis qu’elle existe.

Par un côté, il est vrai, l’Italie s’est heureusement dégagée. Elle a renoué avec la France des rapports d’amitié et de confiance qui sont dans la nature des choses, dans l’intérêt commun des deux nations. Lorsque, le mois dernier, le nouvel ambassadeur du roi Humbert à Paris, le général Menabrea, a été reçu par M. le président de la république, les plus vifs témoignages de cordialité ont été échangés. Pour la première fois depuis bien des années, le représentant de l’Italie a rappelé chaleureusement l’ancienne alliance des deux pays, la confraternité des armes, et, à la réception du 1er janvier, à Rome, le nouvel ambassadeur de France a été accueilli par le roi Humbert avec une effusion qui n’a pas laissé d’être remarquée comme le signe d’une intimité renaissante. Rien de mieux! Malheureusement, tandis que tout s’éclaircit d’un côté, tout semble s’aggraver d’un autre côté pour l’Italie vis-à-vis de l’Autriche. Depuis quelques jours surtout, cette situation prend un caractère assez inquiétant à la suite de l’exécution d’un jeune homme, auteur de l’attentat de l’an dernier à Trieste. Aussitôt les irrédentistes italiens se sont mis en mouvement, multipliant les manifestations. Les insultes contre les représentans de l’Autriche à Rome se sont succédé. Jusqu’ici l’Autriche ne paraît pas s’être émue sérieusement ; elle peut cependant s’émouvoir, et la situation est d’autant plus critique que le gouvernement italien est entre ceux dangers. S’il sévit, comme il le veut, contre les irrédentistes, il soulève des passions révolutionnaires qui se tournent déjà contre la monarchie elle-même; s’il laisse se propager ce mouvement, il se trouve en face de l’Autriche, qui peut demander compte des outrages dont elle est l’objet. Et c’est ainsi que, pour ce début d’année, l’Italie se trouve dans un des momens les plus difficiles où elle ait été depuis longtemps.


CH. DE MAZADE.