Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans recherche, sans ostentation n’avait pu qu’ajouter à la confiance sérieuse du pays en fixant l’opinion.

Dans cette ambassade même de Saint-Pétersbourg qu’il quittait d’ailleurs, le général Chanzy avait eu le temps et l’occasion de se créer de nouveaux titres, de ces titres qui complètent un homme public. Il avait représenté pendant quelques années la France à la cour de Russie avec une parfaite dignité. Accueilli avec faveur par l’ancien empereur Alexandre II, avec une sympathie plus vive encore par le nouveau tsar Alexandre III, recherché avec empressement par la société russe tout entière, il s’était fait une situation exceptionnelle, et, comme nous l’avons entendu dire, quand l’ambassadeur était auprès du souverain de Russie, on sentait que la France était toujours la France. Le général Chanzy, à Pétersbourg comme dans ses voyages à travers l’Europe, même à Berlin, avait su se faire apprécier, se créer des relations diplomatiques ou sociales ; il avait donné de lui cette idée que si un jour ou l’autre il devenait le chef de son pays, on pouvait traiter avec lui sérieusement. C’était beaucoup, — de sorte que par ses services de soldat, par ses réserves de politique intérieure comme par son passage dans la diplomatie, l’ancien commandant de l’armée de la Loire, l’ancien président du centre gauche, l’ancien ambassadeur à Saint-Pétersbourg représentait pour le pays une éventualité possible et rassurante, M. Gambetta était pour beaucoup de républicains un candidat désiré et pour une partie considérable de l’opinion un candidat tumultueux, agité, probablement dangereux. Le général Chanzy, sans sortir du silence et des devoirs où il aimait à se renfermer depuis quelque temps, restait une garantie vivante à laquelle on s’accoutumait à croire, — et c’est tout cela qui a été enseveli l’autre jour, à Châlons, au milieu d’une sévère cérémonie militaire et religieuse, tandis que venaient de s’accomplir les « funérailles nationales» de l’ancien dictateur. M. Gambetta aura eu jusqu’au bout, jusqu’à Nice où il a été enfin transporté, le bruit, la popularité, les ovations; le général Chanzy a eu à son cortège la considération publique, l’estime sérieuse de l’opinion, qui de loin l’a suivi jusqu’à ce petit cimetière de Buzancy où il a été conduit en soldat. De toute façon, ces deux morts, qui n’ont pas les mêmes caractères, qui ne peuvent peut-être pas avoir les mêmes suites immédiates, qui ne se ressemblent que par l’imprévu, — ces deux morts restent des événemens faits pour toucher diversement le pays en confondant une fois de plus toutes les perspectives.

Que la mort de M. Gambetta, en dehors des manifestations qui l’ont accompagnée, semble avoir une importance plus particulièrement immédiate, cela n’est pas douteux et c’est tout simple. L’ancien président du conseil du 14 novembre avait sa place et son rôle de tous les jours dans le parlement. Il avait des amis empressés à le suivre, un parti