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pesait sur la ville inhospitalière et ses environs. On eût dit que les habitans, à l’exception de quelques hautes notabilités militaires et scientifiques, bornaient leur ambition à conserver avec un soin pieux la tombe du général Championnet, qui s’y trouve enterré, et à repeindre en blanc, chaque année, une horrible colonne élevée au centre de la cité en l’honneur des Bourbons. Des hommes actifs, bien au fait des merveilles qu’admirait lord Brougham, ont entrepris d’arracher Antibes à l’isolement et au titre de ville morte qu’elle partage avec Fréjus, Saint-Tropez et Hyères. Longeant la magnifique courbe du golfe Jouan, qui fait face en plein à l’Esterel, une cité nouvelle s’élève; dans un bref délai, elle se prolongera jusqu’à la villa Soleil, non loin des oasis fleuries où déjà se groupent quelques Parisiens, artistes et gens de goût.

Nous croyons superflu de pousser plus loin l’historique de l’accroissement des villes qui bordent le littoral de la Méditerranée de Nice à Fréjus et de Fréjus à Hyères. A Vallauris, à la Napoule, à Saint-Raphaël, les terrains à vendre ont acquis une énorme valeur, et il n’est pas inutile d’insister sur ce fait qui vient à l’appui de la cause que nous défendons; la valeur de ces terrains augmente en raison de leur éloignement de la principauté. Au cap Martin, non loin de Monte-Carlo et de Menton, se trouvent 50 hectares de terres estimés un million. Ils sont plantés de beaux oliviers et situés admirablement. Aux environs d’Antibes ou de Cannes, les mêmes terrains vaudraient dix fois ce prix. Comment donc croire avec beaucoup d’esprits timorés que la disparition de Monte-Carlo arrêterait l’accroissement dont nous parlions? C’est comme si l’on soutenait que la fermeture de certains débits de vins de la Chapelle nuirait aux beaux quartiers de Paris.

Citons, pour terminer, quelques chiffres empruntés à une statistique récente. Selon la Gazette de Wiesbaden, il y avait dans cette ville, en 1816, 41,608 habitans; en 1840, 10,934 et en 1872, 35,800. Le jeu a été supprimé le 31 décembre 1872, et sait-on combien Wiesbaden compte aujourd’hui d’habitans? 52,000! D’après un autre document auquel nos lecteurs peuvent ajouter foi, la jolie ville d’Ems, du duché de Nassau, comptait, en 1865, 7,936 baigneurs et 3,554 visiteurs. En 1880, c’est-à-dire sept ans après la suppression de la roulette, on y a compté 9,511 baigneurs et 7,064 visiteurs. Hombourg a suivi une progression identique.

Nulle crainte donc que l’herbe vienne un jour à croître dans les rues de Nice, de Menton ou de Cannes, lorsque, après la dispersion de la société des jeux de Monte-Carlo, des ruines pittoresques couvriront le beau site que cette société occupe aujourd’hui. Les colonnes en marbre du théâtre de M. Garnier éparses sur le sol avec des