Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des villas nouvelles, rivales des somptueuses villas Haussmann, Vigier, Cazalet, Colonel Evans et de tant d’autres riches résidences, vont s’y élever sans avoir à craindre d’être jamais masquées par un vide-bouteilles ou un casino, sans danger de voir leurs jardins les plus beaux du monde détruits par les modernes Vandales.

Si Nice était en voie de prospérité, — ce que je conteste, — ce ne serait pas dans tous les cas à la principauté de Monaco qu’elle le devrait. Non, Nice souffre des jeux établis chez elle et à côté d’elle; elle en souffrira encore bien davantage quand sera terminé ce qu’on y voit de maisons nouvelles en construction, alors que personne ne se présentera pour les habiter. Ce jour-là, les entrepreneurs à outrance, les acheteurs de terrains à tous prix feront des pertes; ils ne les éviteront qu’en poussant à la suppression de Monte-Carlo et en obtenant qu’on exerce une sévère surveillance sur les jeux clandestins et autres de la ville. Consultez les propriétaires des villas de Nice, interrogez les hôteliers, les personnes qui louent en meublé et ils vous répondront que les hôtels sont presque toujours sans clientèle stable, les villas sans familles y faisant de longs séjours, les chambres à louer sans locataires sérieux. S’il vient un voyageur dans un hôtel, l’hôtel ne le garde pas, et la dépense journalière de ce passant se réduit le plus souvent au coût d’une chambre à coucher et à celui d’une tasse de café prise le matin avant de partir pour Monaco. Ce même passant, après des chances diverses au jeu qui le mettent en goût, perdant invariablement l’argent qu’il a emporté pour faire un long séjour à Nice, quitte le pays, jurant qu’on ne l’y verra plus. Beaucoup oublient leurs sermens et reviennent. Ceux-là s’appellent les incurables de Monte-Carlo.

Un propriétaire des coteaux de Carabacel me disait que c’était à peine si, pendant la saison hivernale, il parvenait à louer la moitié des quatre villas qu’il possède. Beaucoup de familles, m’a-t-il dit, appréhendent Nice à cause du voisinage de Monte-Carlo, où, sur la seule présentation d’une carte de visite, chacun est admis à jouer. Bien forts sont les papillons qui n’y vont pas brûler leurs ailes. Tout les y convie : un départ toutes les heures pour Monaco, un voyage court et des plus pittoresques, l’attrait d’entendre les chanteurs les plus en renom, les comédiennes les plus célèbres et l’appât de l’or. C’est à Monte-Carlo et à Monte-Carlo seulement que l’on peut voir, hélas! ce spectacle écœurant d’artistes dramatiques et lyriques de premier ordre s’alliant inconsciemment au vice pour vider les poches.

Il est un autre fléau qui afflige Nice depuis l’installation des jeux.