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de la ville de Nice que dans les salons publics de Monaco. On y voyait certes passer, comme des météores, des grecs, des filous parés de noms éclatans; mais, promptement reconnus, ces tristes personnages étaient encore plus promptement forcés de disparaître. Et puis le chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée ne déversait pas toutes les heures, — pas plus à Nice qu’à Monaco, — des milliers d’oisifs, des filles en rupture de boulevards et des escrocs en quête d’un gibier facile à plumer. Nous croyons que, sans le chemin de fer, la société des jeux de Monte-Carlo n’eût pas obtenu des résultats bien brillans, et le jour où l’on voudra porter à la société un coup funeste, on n’aura qu’à défendre aux chefs de train de s’arrêter à Monaco, — douze fois en vingt-quatre heures. Le commerce et l’industrie de la principauté ne comportant pas de telles facilités de transport, c’est pour le jeu et le jeu uniquement que ces facilités ont été créées.

A l’époque dont nous parlons, on ne pouvait se rendre de Nice à la principauté qu’en vetturino et au moyen de l’affreux sabot à vapeur qui journellement faisait le trajet du port de Nice au port d’Hercule, à Monaco. Par terre, la route était splendide; nous nous dispenserons de décrire les merveilles de la Corniche. Le rocher sur lequel s’élève le palais des Grimaldi, exempt alors des constructions nouvelles qui lui enlèvent son caractère de repaire féodal, plaisait surtout par l’absence de ce qui fait aujourd’hui le bonheur des gens sans goût artistique. Rien de peigné, d’aligné, pas de villas baroques, de casernes, de quais bien droits, de rampes adoucies et sablées, mais là où s’élève le casino actuel et son affreux théâtre, d’admirables roches couvertes de lichens, un frais fouillis d’euphorbes, de cistes, de plus parasols, d’orangers et de citronniers, avec une nappe d’azur, — la mer, — servant de fond mouvant à cet éden.

Le grand et vieil hôtel où l’on descendait était à la fois une hôtellerie, un restaurant, un casino et une maison de jeu. Au centre d’une grande chambre enfumée, sordidement meublée, puante, éclairée aux approches de la nuit par des lampes carcel suintant l’huile, se dressaient deux tables, l’une de roulette, l’autre de trente-et-quarante. L’assistance que j’y vis était peu nombreuse, et les quelques individus qui jouaient n’avaient rien de l’élégance et de la distinction de la majorité des joueurs de Bade ou de Wiesbaden. Les hommes n’eussent pas été déplacés dans le préau d’une maison de correction, ou plutôt dans les bois de l’Esterel, non loin de l’auberge des Adrets. Les femmes, vieilles et laides, offraient les types les mieux caractérisés des marchandes à la toilette de Francfort ou de Londres, L’une d’elles pourtant était encore très belle;