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les tailes, les corvées et autres droits superbes du seigneur. C’était la ruine et une écrasante réduction de la principauté. Désormais, sans crainte que les voleurs fissent main-basse sur sa caisse vide, le prince de Monaco put chaque matin faire avant déjeuner le tour de ses charmans états.

Pendant dix longues années il en fut ainsi. Les impôts arrivèrent à ne plus produire qu’un revenu de 15,000 francs. heureusement que, par un coup de fortune, en 1858, M. Blanc fit sa première apparition dans la principauté. Celle-ci était fort mal dans ses affaires et, nouvelle Danaé, elle reçut volontiers la pluie d’or que M. Blanc, nouveau Jupiter, faisait tomber sur elle. L’espoir d’avoir de nouveau des rentes à palper, l’exemple mauvais donné par le duc de Nassau à Ems triomphèrent facilement des scrupules de Charles III. La concession des jeux publics fut faite à M. Blanc. Comme une bonne fortune n’arrive jamais seule, deux ans plus tard, la France « toujours généreuse » versa aux mains du même prince la somme de 4 millions de francs pour l’achat des territoires de Menton et Roquebrune. Somme considérable, en vérité, mais dont personne aujourd’hui ne regretterait l’emploi, si Napoléon III, imprévoyant, impolitique, avait remplacé par une garnison française la garnison piémontaise que Victor-Emmanuel faisait sortir de Monaco, le jour même où la cession du comté de Nice était faite à la France. Quelle faute, quel oubli plutôt, et combien la chose eût paru simple alors au prince Charles, au roi d’Italie et à nous, Français à courtes vues! Et pourtant, qui pourrait prétendre, d’après ce qui précède, que la France n’a pas hérité du protectorat exercé par l’Italie sur la principauté, et que, s’il lui convenait de demander au prince de Monaco ou plutôt d’exiger de lui l’éloignement des jeux notoirement nuisibles, elle n’en aurait pas le droit ? Quelle responsabilité morale ce prince n’assume-t-il pas sur lui! Sans son appui, sans une tolérance que nous ne voulons pas qualifier, les jeux publics erreraient sans asile en Europe.


II.

C’est en 1862, en route pour l’Italie, que je mis pour la première fois les pieds dans la principauté. Le chemin de fer n’allait qu’à Toulon et l’on ne songeait nullement à s’en plaindre, car le voyage était des plus amusans et les enchantemens continus de Marseille à Gènes. Point de chalets baroques, de villas roses ou bleues, d’odieuses constructions byzantines ou indiennes, mais, sous un ciel azuré, une lumière éclatante, une nature sauvage comme elle