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maintenant se dresser en face d’elle comme une absolue contradiction.

Qui dit, en effet, perfection, — perfection de la langue ou perfection d’un genre, — dit évidemment séparation, distinction et choix. La perfection d’une langue se constitue par le choix, entre toutes les formes qui pouvaient indifféremment servir à l’expression d’une même pensée, de la seule forme qui convienne au temps, à la circonstance, au sujet. Toutes les autres tombent, une seule demeure et survit. La langue de Corneille, en ses mauvais endroits, c’est, avec à peine un peu plus de nerf et de bonheur d’expression, la langue de Mairet et de Scudéri; dans les bons endroits, c’est la même langue, purgée seulement de son excès d’emphase et de préciosité : et c’est la langue classique. Pareillement, la perfection d’un genre se constitue par le choix, entre toutes les formes dont il pouvait indifféremment user, de la forme qui l’adressera le plus sûrement à son but. Toutes les autres y sont plus ou moins convenables, une seule entre toutes l’est plus que les autres. Ainsi, dans le système dramatique des trois unités, tout moyen qui peut servir à la concentration de l’action est un pas accompli vers la perfection du genre : la comédie de Molière ou la tragédie de Racine. Or, de ce choix même, il résulte nécessairement une élimination de toutes les autres formes. Ces autres formes, on peut les ramasser, on peut essayer de les mettre en œuvre, on peut même parfois y réussir. Et c’est le romantisme, mais ce n’est plus le classicisme.

C’est ce qu’il me reste à montrer brièvement ; et que notre admiration pour les grands écrivains d’autrefois et pour ceux d’aujourd’hui, bien loin de se tirer, comme le veut M. Deschanel, du « même fonds » et des « mêmes principes » se tire, au contraire, des principes les plus opposés et du fonds le plus divers qu’il se puisse. Le romantisme n’est pas n’importe quelle révolution, mais une révolution pour remettre en honneur tout ce que le classicisme avait, sinon dogmatiquement condamné, du moins effectivement rejeté. Je parle des classiques du XVIIe siècle et non pas des pseudo-classiques de l’empire.

En ce qui touche la langue d’abord, et sous le prétexte assez spécieux de lui restituer son ancienne liberté, le romantisme n’a rien négligé de ce qu’il fallait pour la faire tomber du point de perfection où les classiques l’avaient portée. Les excès appellent les excès, je ne l’ignore pas. Les grammairiens soi-disant philosophes du XVIIIe siècle avaient tellement exténué la langue qu’il fallait absolument lui rendre un peu de corps, ou cesser d’écrire. Mais l’erreur du romantisme, animé qu’il était de la haine de tous les