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chefs-d’œuvre, — une Provinciale ou un Sermon de Bossuet, Athalie ou Tartufe, un chapitre de Gil Blas ou du Siècle de Louis XIV, — et d’examiner ce que la langue en a de supérieur aux œuvres du même genre qui viennent immédiatement au-dessous. Théoriquement, on trouverait dans la nature même d’une langue et dans sa conformité, plus ou moins étroite, plus ou moins adhérente, si je puis ainsi dire, à la nature propre du génie national, non-seulement de bonnes raisons, mais des raisons péremptoires, de décider qu’à tel âge, en tel temps de son développement, elle a été mieux écrite qu’à tout autre. Ce qui intéresse bien plus le problème que nous discutons, parce que c’est véritablement le point où l’on ne réussit pas à s’entendre, c’est de savoir, et par quelques signes d’ailleurs que l’on veuille le caractériser, ce qu’a duré ce temps de perfection. Si nous y parvenions, nous aurions du même coup déterminé l’une encore des conditions auxquelles on est classique.

Or il semble qu’en général ce temps de perfection dure à peu près ce que dure l’indépendance d’une littérature à l’égard des littératures étrangères. Nous donnons et nous recevons ; on nous emprunte et nous rendons ; nous imitons des modèles et nous en proposons. Il y a une littérature française encore toute grecque et latine, et il y en a une autre devenue tout anglaise et tout allemande. Il y a aussi, par compensation, une littérature anglaise toute française, qui est celle du temps de Charles II, et une allemande, pareillement, qui est celle que gouverna Gottsched. Mais il y a, d’autre part, une littérature française, comme une anglaise et comme une allemande, profondément empreintes à la marque du génie national, dégagées, libérées, pour mieux dire, de l’imitation de l’étranger, littérature où toute une race reconnaît sa propre conception de la vie, son interprétation particulière de la nature et de l’homme, le tour personnel qu’elle a donné à l’expression de ces sentimens généraux qui sont le patrimoine commun et l’héritage durable de l’humanité. C’est là proprement ce que nous appelons une littérature classique. Elle imprime à ces sentimens généraux que tout homme qui vient à la lumière de ce monde est capable, puisqu’il est homme, d’éprouver et de comprendre, une forme si particulière que la valeur en échappe aux étrangers, et qu’il faut être soi-même national pour la sentir, la goûter, l’apprécier. Cette période de l’histoire littéraire, les historiens de la littérature italienne l’appellent : il secolo d’oro : c’est pour eux le XVe siècle, le siècle d’Arioste dans la poésie, de Machiavel dans la prose. Les historiens de la littérature anglaise l’appellent, d’un nom déjà plus significatif : the Augustan age ; elle comprend à peu près le temps de la reine Anne et du premier des George : Prior, Pope et Gay, Swift, Addison et Steele en sont les principaux noms. Les historiens de la littérature allemande