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elles de jolies vestes brodées d’or ; et la veille ou le jour du sabbat, tandis que, sur le seuil des maisons, les juives du commun viennent exhiber, en tout bien tout honneur, leurs plantureux appas à peine recouverts d’une gaze transparente, il n’est pas rare d’apercevoir quelque joli minois d’Israélite de distinction, à demi caché derrière le grillage de bois qui, à la mode turque, clôt la fenêtre ; les bras et le cou sont chargés de beaux bijoux et souvent aussi un diadème de monnaies d’or orne les cheveux toujours coupés très courts. Les chrétiennes grecques orthodoxes, moins fines en général que les juives, portent chez elles un costume mi-oriental, mi-européen, c’est-à-dire le petit corsage de velours, la veste brodée d’or et le fez orné de glands d’or, puis des jupons de belles étoffes de soie, à la mode de Vienne. Leurs coiffures sont très variées : quelquefois les cheveux sont roulés autour du fez à la manière serbe ; ou bien elles les couvrent d’une mousseline blanche ; d’autres fois enfin elles ont un fez appliqué avec coquetterie sur un des côtés de la tête, et de ce fez tombe en cascade leur notre chevelure chargée d’une profusion d’ornemens d’or et surtout de monnaies. Nous avons signalé tout à l’heure cette coiffure chez les juives ; les femmes chrétiennes de Bosnie, comme les Herzégoviennes et les Dalmates, affectionnent aussi beaucoup cette parure ; et, les jours de fête, les plus pauvres d’entre elles portent bien souvent sur leur tête toute la fortune de la famille. Les commerçans grecs de Serajewo sont, du reste, après les juifs, les habitans les plus riches de la ville, beaucoup plus que les musulmans, rendus par leur fatalisme orgueilleux, incapables de toute entreprise sérieuse. Les Grecs, au contraire, laborieux et intrigans, tiennent dans leurs mains une bonne partie du commerce extérieur de la Bosnie avec l’Autriche, la Dalmatie, la Serbie et Constantinople. Mais c’est une classe égoïste et ignorante, qui ne s’occupe en aucune façon d’améliorer le sort des paysans du même rite, et qui forme dans la ville une caste isolée et peu sympathique.

Toute cette foule bigarrée dont je viens de passer en revue les élémens, anime de ses vives couleurs les rues de Serajewo quand, vers neuf heures, l’Oriental paresseux se lève et va à ses affaires. C’est alors que des convois de bêtes de somme, amenant toute sorte de marchandises, pénètrent dans l’intérieur de la ville ; les bazars se remplissent d’acheteurs ; les ouvriers commencent à travailler dans leur échoppe ouverte sur la rue, et ainsi continuent le mouvement et la vie jusqu’aux heures chaudes du midi pendant lesquelles tout se ferme et chacun se livre au dolce far niente. Après la sieste, l’activité recommence jusque vers six heures ; alors toutes les boutiques se ferment définitivement, et leurs propriétaires vont se promener au dehors. C’est aussi le moment où les officiers autrichiens, revenant