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rubis, est un admirable joyau qui serait digne de servir d’agrafe à la ceinture de Cypris ou de fermail au collier de la reine des fées.

Pour toutes les autres merveilles de l’orfèvrerie, de la joaillerie et de l’armurerie de la renaissance qu’on admire dans les musées et dans les collections particulières, il est permis d’en attribuer quelques-unes à Cellini, mais c’est affaire au caprice, à l’intuition de chacun. Les points de comparaison manquent, la critique ne peut décider. D’autres pièces, au contraire, bien que cataloguées comme œuvres de Benvenuto, ne souffrent point cette attribution. Ou le style en est antérieur ou postérieur à celui du milieu du XVIe siècle, ou l’on y reconnaît un travail français, allemand, espagnol. Quant à celles qui portent le caractère florentin, rien n’autorise à nier qu’elles soient de la main de Cellini, comme rien n’engage à le croire. Certainement Benvenuto Cellini n’a point parlé de tous les menus ouvrages[1] qu’il a faits et qu’il a fait faire sous ses yeux par ses élèves. Bien des œuvres sont citées dans la Vita, qui ne le sont point dans les Trattati, et réciproquement; enfin les archives de Florence mentionnent des pièces de Cellini dont il n’est point question dans ses écrits. Pour conclure, ces joyaux et ces orfèvreries de fabrication manifestement florentine, qu’ils soient ou non de Cellini, donnent l’idée de sa manière, et il est juste de lui en faire honneur. S’il n’était pas supérieur aux autres orfèvres de son temps, au moins leur était-il égal. En admettant même que la plupart ne soient pas de lui, ces bassins au repoussé, mondes en abrégé où l’œil se perd dans les théogonies, les titanomachies et les amours des dieux, ces aiguières au col svelte, au bec découpé en feuille de lierre, à l’anse frêle que forme une sirène ou un ægypan, ces coupes décorées de figures et de mascarons, ces nautiles de nacre ou de cristal de roche aux montures cherchées et fantasques, ces cassettes qui, bosselées d’ornemens en relief, brillent comme des iconostases, ces pendans, ces agrafes, ces médaillons où courent les nielles les plus délicates et les plus fines ciselures, où s’entrelacent en bordures ajourées les rinceaux d’or et les guirlandes de perles, où mêlent leurs feux les diamans et les rubis, où les corps des déesses se détachent dans la pâleur rosée des camées sur le fond éclatant des émaux, témoignent de l’habileté de main, de l’esprit inventif, de la fantaisie charmante et géniale de Benvenuto Cellini.

  1. Les attributions des belles armes, boucliers, casques, cuirasses, semblent cependant tout à fait douteuses, car d’ouvrages aussi importans Cellini eût certainement parlé, et il n’en est pas question dans les Mémoires ni dans le Traité de l’orfèvrerie.