Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diplomatiquement son ciseau à leur service. C’est ainsi que l’artiste fit pour Rome le monument de Bologne, pour l’Espagne la statue équestre de Philippe III, pour la France celle de Henri IV qui fut détruite pendant la révolution. D’ailleurs les Médicis, fort jaloux des travaux de Jean Boulogne, lui interdisaient d’accepter aucune commande de quelque importance sans leur assentiment. Il dut décliner les propositions de Catherine de Médicis, du duc d’Urbin et des empereurs Maximilien et Rodolphe II.

Jean Boulogne mourut à quatre-vingt-quatre ans, le 13 août 1608. Sa vieillesse fut enviable, car elle fut active et glorieuse. Jusqu’à ses derniers jours, l’artiste put prendre le crayon et manier l’ébauchoir. Jean Boulogne aurait trouvé dans le travail seul le contentement de chaque jour; il eut par surcroît la renommée, les honneurs, la richesse. Il était reconnu pour le plus grand sculpteur de son temps. L’Académie du dessin l’élut au nombre de ses membres, le pape le nomma chevalier de l’ordre du Christ, l’empereur Rodolphe lui conféra la noblesse héréditaire. Il vécut fastueusement, sans jamais compter, habitant un palais, entretenant des chevaux, dépensant plus de six mille écus d’or pour se faire construire dans l’église de la Nunziata le monument funéraire où il fut inhumé, et il laissa avec son titre un bel héritage à un neveu qu’il avait fait venir des Flandres et adopté. La vie de Jean Boulogne fut aussi régulière, aussi calme, aussi fortunée que celle de Benvenuto Cellini fut aventureuse, tourmentée et traversée d’épreuves.


IV.

L’artiste qui a été consacré de son vivant gagnerait parfois à ce que ses œuvres disparussent avec lui. La gloire de son nom en serait plus éclatante. Benvenuto Cellini était sculpteur et orfèvre. Ses statues nous sont presque toutes parvenues, et il est très discuté comme sculpteur ; au contraire, la plupart de ses ouvrages d’orfèvrerie sont perdus, et il passe pour le plus grand orfèvre de la renaissance. Non-seulement il prime dans l’opinion tous les orfèvres de son temps, mais il les écrase sous sa célébrité, il les annihile en lui, il les identifie avec sa propre personne; leur talent et leurs œuvres profitent à sa renommée. Admire-t-on dans un bijou du XVIe siècle l’originalité un peu cherchée de la composition, la grâce hardie de la monture, l’éclat des émaux, la délicatesse du travail, est-on frappé de la belle exécution, de la richesse ornementale, du galbe élégant d’une aiguière, d’un nautile ou d’un calice, aussitôt on s’écrie : Cellini. Pour Jean de Pise, Orcagna, Ghiberti,