Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et souvent contradictoires, par l’effet de toutes les influences auxquelles est soumis le moi moral aussi bien que le moi physique. Ainsi se justifie l’expression hardie de M. Alexis Bertrand : « Le corps est une habitude de l’âme. »

Il y a toutefois une différence essentielle entre les phénomènes corporels et les faits de conscience, c’est-à-dire les faits qui constituent le moral de l’homme ou le domaine propre de l’âme. Les premiers se ramènent à l’étendue et au mouvement, qui peuvent être l’objet de la conscience, mais qui peuvent aussi se concevoir en dehors de toute conscience ; les seconds ne se conçoivent pas, au contraire, sans la conscience d’eux-mêmes. Un mouvement inconscient a un sens très clair; une pensée inconsciente n’en a aucun. C’est cette différence qui peut justifier la distinction métaphysique de deux substances : l’esprit, où la conscience règne seule ; la matière, qui appartient proprement à l’inconscience, mais qui peut s’ouvrir à la conscience par son union avec l’esprit. Nous ne voulons pas prendre parti pour ou contre cette distinction. Nous ne connaissons aucun moyen de pénétrer dans la nature des substances. Nous devons toutefois reconnaître que l’unité du moi paraît bien en péril, s’il réunit en lui deux substances distinctes. Il ne serait pas, en effet, possible d’identifier le moi avec une seule de ces substances et de réduire l’autre au rôle d’un simple instrument. Les philosophes qui affirment le plus hautement la distinction de la matière et de l’esprit déclarent cependant, avec Bossuet, que « le corps n’est pas un simple instrument appliqué du dehors, ni un vaisseau que l’âme gouverne à la façon d’un pilote, » mais que « l’âme et le corps ne font ensemble qu’un tout naturel et qu’il y a entre les parties une parfaite et nécessaire communication. » Tel est, en effet, le témoignage de la conscience lorsqu’elle embrasse, dans l’unité du même moi, le physique et le moral, la vie du corps et la vie de l’âme. Aussi nous préférerions une théorie qui ne verrait, dans la matière et dans l’esprit, dans le corps et dans l’âme, que deux modes, ou plutôt deux degrés du développement d’une seule et même substance. Ce serait le matérialisme si l’on faisait de l’âme une fonction du corps; mais c’est le spiritualisme le plus élevé si l’on fait du corps, avec M. Bertrand, un état, une habitude de l’âme. Le matérialisme explique le supérieur par l’inférieur; le spiritualisme explique l’inférieur par le supérieur; il ne voit dans le premier qu’une diminution du second. Si nous descendons de la personne humaine à l’animal, de l’animal au végétal, du végétal au minéral, nous ne voyons pas apparaître des substances de nature entièrement différente ; nous voyons disparaître successivement les attributs dont la réunion forme le plus haut degré de l’être : la raison, la conscience, la vie. « L’homme, dit M. Caro, contient en