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et qu’elle est un fait de conscience, au même titre que toutes nos sensations. Nous en dirons autant et à plus forte raison du mouvement, car la première perception de la conscience est peut-être le sentiment de notre activité motrice. Nous ne concevons le mouvement au dehors que sur le type des mouvemens que nous produisons dans notre corps et dont nous avons conscience dans notre effort pour les produire. Or c’est surtout par le mouvement que nous nous faisions une idée claire de l’étendue, et les définitions des figures géométriques reposent sur les mouvemens qu’il faudrait faire pour les tracer[1]. Le moi, de son côté, quelque unité qu’on reconnaisse ou qu’on sente en lui, ne se manifeste à lui-même que dans la plus grande complexité de phénomènes simultanés ou successifs. La multiplicité des phénomènes se retrouve donc et dans le corps étendu et dans le moi un et simple. Il n’y a entre eux, à ce point de vue, aucune opposition de nature.

Le corps change sans cesse et il paraît se renouveler entièrement au bout de quelques années : le moi, au contraire, a conscience de son identité. Que faut-il entendre par ce renouvellement du corps et cette identité du moi? Chaque corps vit d’emprunts à la nature extérieure ; mais il a en lui un principe de vie qui ramène tous ces emprunts à l’unité d’une même forme. Chaque moi, chaque individu conscient vit de même, en grande partie, de sensations et d’idées dont la cause est hors de lui. Elle est dans toutes les impressions que subit son corps; elle est particulièrement dans la conformation de son cerveau et dans toutes les influences que la nourriture, l’air ambiant, le climat, l’hérédité peuvent exercer sur cette conformation. Elle est aussi dans les sensations et les idées d’autrui, dans l’éducation qu’il reçoit, dans la communauté de sentimens, de croyances, de manières dépenser qui s’établit nécessairement entre les individus d’un même pays, d’un même siècle, d’une même civilisation. Elle est enfin dans l’hérédité intellectuelle et morale, dont les effets ne sont pas moins sensibles dans les races, dans les peuples, dans les familles, que ceux de l’hérédité physique. Le moi sent en lui un principe actif qui réagit plus ou moins contre toutes ces influences et qui tend à les ramener à l’identité d’une même personne. Il peut, jusqu’à un certain point, s’en rendre maître, les diriger et les gouverner; mais si l’on fait, chez les mieux doués et les plus forts, la part de l’action personnelle et celle des actions subies, la disproportion sera infinie en faveur des dernières. Les plus fins moralistes reconnaissent plusieurs hommes en un seul

  1. C’est là une théorie classique dans l’école spiritualiste, et les écoles rivales se la sont appropriée. M. Ribot lui a consacré, il y a peu d’années, une excellente étude qu’il n’a pas hésité à résumer dans l’expression de Psychologie des mouvemens (Revue philosophique, octobre 1879, les Mouvemens et leur importance psychologique.)