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caractères d’une personne; il peut en revendiquer tous les droits et il est obligé d’en remplir tous les devoirs, parce que sa conscience, sa raison et sa liberté lui en imposent, dans l’ordre légal et dans l’ordre moral, toute la responsabilité.


V.

La question de la personnalité peut-elle se dégager de toute considération métaphysique? Nous ne le croyons pas, soit au point de vue théorique, soit au point de vue pratique. Une théorie de la personnalité est nécessairement incomplète si elle ne sait pas ou si elle ne cherche pas à savoir ce qu’est l’être même que nous appelons une personne. Quant aux applications pratiques de l’idée de personnalité, elles sont l’objet de la morale et du droit; or la morale et le droit, nous l’avons établi dans une précédente étude[1], n’ont jamais pu jusqu’à présent se constituer solidement en dehors d’une base métaphysique. Nous avons d’ailleurs écarté la principale objection du positivisme en reconnaissant en nous cette faculté de l’universel, de l’idéal et du divin, qui, d’un seul mot, peut se définir la faculté métaphysique.

Invoquer une telle faculté, c’est, diront les positivistes, prouver la métaphysique par la métaphysique elle-même. Nous répondrons que la distinction, dans la conscience humaine, des sens et de la raison est une question de fait et qu’elle ne se résout que par l’observation et par l’analyse des données de la conscience. L’un des plus illustres adversaires de la raison pure et des intuitions a priori, Stuart Mill, le reconnaît expressément. Il ne refuse pas de voir dans l’expérience intérieure « la base commune » du système qu’il combat et de son propre système. « La différence fondamentale entre les deux écoles, dit-il très bien, réside moins dans leur manière d’envisager les phénomènes que dans celle d’expliquer leur origine. En peu de mots et sans prétention, nous pourrions dire qu’une école considère les phénomènes les plus complexes de l’esprit comme essentiels, tandis que l’autre les considère comme des résultats de l’expérience, ou, en termes plus précis, que les philosophes de l’a priori admettent l’intervention, dans chaque opération mentale, de la plus simple à la plus complexe, d’un élément que l’esprit ne subit pas, mais qu’il apporte et qui lui est inhérent. » Nous sommes de ceux qui reconnaissent dans la conscience cet élément inhérent à l’esprit humain, qu’il ne subit pas comme la sensation, mais dont il porte en lui le germe et qu’il développe à l’occasion

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juillet 1881, la Morale laïque.