Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/329

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour les faits de conscience. La conscience elle-même n’est qu’un effet particulier de l’enchaînement de certains phénomènes; le moi n’est qu’un mot pour exprimer cet enchaînement. Quand on parle des propriétés ou des pouvoirs du moi, dit M. Taine, on veut dire seulement que tel fait étant donné, tel autre s’ensuivra nécessairement. L’individu, le moi n’est qu’un « polypier d’images. » M. Taine parle encore d’individus et même de personnes; mais, logiquement, ce ne sont pour lui que des composés instables, sans unité propre, sans action d’aucune sorte sur les phénomènes dont ils !se composent. Le moi, l’individu, la personne ne servent, en réalité, suivant une autre théorie de M. Taine, qu’à « substituer, » dans notre esprit, pour la commodité de la pensée, un terme unique et d’apparence simple à un grand nombre d’images. Une telle façon de concevoir l’unité vivante et consciente de l’animal et de l’homme lui-même justifie bien le cri de Michelet : « Il me prend mon moi! »

Telle est l’idée que se font du moi l’école sensualiste du XVIIIe siècle, l’école positiviste et l’école associationiste du XIXe. Cependant, dans ces écoles, l’observation intérieure, négligée plutôt que dédaignée, a plus d’une fois repris ses droits et retrouvé dans la conscience le caractère actif de l’individu ou de la personne. Stuart Mill, qui a très heureusement défendu l’observation intérieure contre Auguste Comte, rappelle que Laromiguière a transformé le sensualisme en reconnaissant dans l’esprit un élément actif, et il fait honneur à son compatriote, M. Alexandre Bain, d’une transformation semblable des doctrines associationistes. L’éloge est mérité des deux parts; mais cette activité de l’esprit, chez M. Bain, comme chez Laromiguière et Destutt de Tracy, est plutôt supposée, comme la condition nécessaire de certains phénomènes, qu’elle n’est directement observée .dans ses caractères propres. Les idéologues ont eu le mérite de mieux étudier les faits d’attention que ne l’avait fait leur maître Condillac; M. Bain a parfaitement mis en lumière les dispositions du cerveau, des nerfs et des muscles qui servent de base à l’activité mentale; mais, de part et d’autre, nous n’avons que les effets ou les formes extérieures de l’activité : c’est une autre école, l’école de Maine de Biran, qui a su reconnaître en lui-même et dans son développement intrinsèque, l’élément actif de tous les faits de conscience. On peut reprocher à cette école l’abus des hypothèses métaphysiques; mais, sur ce point spécial de l’activité consciente, jamais l’observation intérieure n’avait été pratiquée avec plus de bonheur et avec plus de fruit. Il faut lire surtout l’article Conscience du Dictionnaire des sciences philosophiques, où M. Vacherot a admirablement résumé les découvertes de Maine de Biran, car le mot de découvertes n’est pas trop fort pour cet univers en raccourci que nous