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contemporain, M. Bouillier, qui répète à son tour la même plainte, essaie de faire la lumière sur une question qu’ont tant contribué à obscurcir ceux qui ont prétendu la résoudre une fois pour toutes par des procédés rigoureusement scientifiques. Il oppose ce qu’il appelle hardiment « la vraie conscience » à tous ces fantômes inconsistans de consciences qu’évoquent les modernes psychologues. Son livre vient à propos. Il ne fera pas cesser les controverses et il ne rendra pas à l’ancienne psychologie son autorité irrémédiablement compromise; mais l’auteur expose avec une telle clarté et une si entière bonne loi les thèses qu’il combat et il en fait si bien ressortir la faiblesse et les contradictions qu’on ne saurait trouver un meilleur guide pour une étude complète et impartiale du problème. M. Bouillier, dans une carrière philosophique dont les débuts remontent à près d’un demi-siècle, a eu le rare mérite de se renouveler sans cesse en creusant toujours plus profondément les mêmes questions, et en faisant autant de livres nouveaux des éditions successives de ses ouvrages. Le sujet de son dernier livre avait déjà été traité par lui avec moins d’étendue et sous un autre titre, la Conscience en psychologie et en morale. Sa thèse est restée la même ; mais elle est rajeunie et fortifiée d’argumens nouveaux par la discussion des théories les plus récentes. Si nous nous proposons de reprendre après lui cette discussion, c’est d’abord pour payer à un excellent ouvrage le seul tribut digne de lui, en mêlant à de justes éloges la libre indication de quelques dissidences; c’est aussi pour essayer de dégager, entre les théories rivales des anciennes et des nouvelles écoles, non sans doute les conquêtes définitives de la psychologie ou de la métaphysique (ni l’une ni l’autre de ces sciences n’est en possession de telles conquêtes), mais quelques points que la morale et le droit peuvent réclamer comme leurs postulats nécessaires. Pour cette tâche plus modeste, mais très vaste encore et dont nous ne nous dissimulons pas les difficultés, nous avons mis à profit, avec la Vraie Conscience de M. Bouillier, quelques-uns des travaux les plus récens soit de ses contradicteurs, soit des autres maîtres de l’école spiritualité, soit enfin de quelques jeunes esprits que n’a pas effrayés une position indépendante.


I.

La personnalité se manifeste par la conscience; mais la conscience ne suffit pas pour constituer la personnalité. Nous traitons les animaux comme des choses et cependant il paraît impossible de leur refuser la conscience. L’auteur d’une étude très estimable sur l’Homme et l’Animal, M. Henri Joly, distingue deux consciences,