campagne du pays de la Marche, il s’était introduit dans la famille du général d’Itzenplitz, et, après avoir enjôlé la mère, avait fini par épouser la fille. Frédéric, qui n’était point indulgent aux mésalliances, le fit enfermer dans la prison de Berlin. La haine de Wœllner contre le roi philosophe date de cette époque. Il était en ce temps-là rationaliste et disciple de Wolf; il se fit franc-maçon. Mais déjà, dans le grand monde de l’Allemagne, le vent ne soufflait plus au pur déisme. Wœllner, qui était esprit fort et demeura toujours un parfait sceptique, changea de convictions; se jugeant aussi propre qu’un autre au commerce des apparitions et à l’industrie des mystères, il résolut de se faire « courtier honnête » entre les puissances de ce monde et celles de l’autre, fondant son crédit auprès des premières sur celui qu’il s’attribuerait auprès des secondes. Il s’affilia aux rose-croix et devint bientôt une des espérances de l’ordre.
Il connut ainsi l’homme qui devait balancer sa faveur auprès du roi de Prusse et partager un jour avec lui le gouvernement de Frédéric, le Saxon Bischoffswerder. Fils d’un petit gentilhomme, officier de fortune venu comme tant d’autres chercher du service en Prusse, celui-ci s’était faufilé auprès du prince royal et l’avait promptement séduit. différent en cela de son futur associé Wœllner, il était vraiment superstitieux, croyait à ses panacées et fut même, à ce qu’on assure, au moins au début, la dupe de ses fantasmagories. Tandis que Wœllner, purement avide et cupide, ne voulait que se pousser au pouvoir, Bischoffswerder recherchait plus la réalité que les apparences du gouvernement. Enfin il était sincèrement dévoué à Frédéric-Guillaume. Wœllner avait la figure d’un cuistre de censure ou de cabinet noir. Bischoffswerder était homme de cour et homme du monde, de belle tenue, de maintien discret, le regard profond, le sourire mystérieux, séduisant, sachant allier les dehors de la dignité avec les complaisances de la servitude et dissimuler derrière un masque de modestie une insatiable ambition.
Il présenta Wœllner au prince royal et c’est par leurs soins que Frédéric-Guillaume fut en 1781 reçu parmi les rose-croix. Dès lors, l’affiliation à l’ordre devint le meilleur moyen de plaire à l’héritier présomptif et plus tard de gagner la faveur du roi. Haugwitz, qui joua un si grand rôle, avait commencé par là. Ils formaient un parti, se tenant et se poussant les uns les autres, donnant à Frédéric-Guillaume des consultations et au besoin des ordres par l’intermédiaire des esprits qu’ils faisaient apparaître et parler. Malgré le mystère dont ils s’environnaient, leur secret était connu de tout Berlin. Le comte d’Esterno nous montre en 1790 Bischoffswerder « faisant jouer la machine des revenans et des illuminés dont on parle sans cesse. » A côté de lui, un autre Saxon, Lindenau, et Wœllner, qui a « le département des revenans et des choses de religion, »