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ont besoin de s’émouvoir et de réveiller l’attention, de montrer quelque événement « en perspective. » Tantôt ils se tournent du côté de l’ouest, vers nous, et ils supposent à la France toute sorte de projets. Ils évaluent nos forces, ils surveillent l’état de notre armée et nos mouvemens, ils s’inquiètent même de quelques modestes fonds secrets qui ne peuvent manifestement être mis sans dessein à la disposition du ministre des affaires étrangères. — Tantôt ils se tournent, le sourcil froncé et le regard menaçant, du côté de la Russie. Ils supputent le nombre de kilomètres de chemins de fer que les Russes construisent à leur frontière; ils découvrent des fortifications qui s’élèvent; des camps retranchés déjà formés; ils ont aperçu des rassemblemens inquiétans, des régimens de cavalerie en marche. Ils se défient du panslavisme et des projets de la Russie. — C’est une campagne de plume qui vient de se renouveler pendant quelques jours en Allemagne et qui n’a précisément rien d’imprévu. Cette fois, du moins, ces polémiques semi-guerrières, semi-diplomatiques, ont été rajeunies par quelques incidens particuliers faits pour piquer la curiosité. Il y a eu le voyage du ministre des affaires étrangères du tsar, de M. de Giers, qui a été l’inépuisable thème de tous les commentaires, et, chose curieuse, avec ce voyage tant commenté a coïncidé presque aussitôt la révélation du traité qui lie intimement l’Allemagne à l’Autriche-Hongrie. Cette alliance des deux empires, elle était sans doute connue et avouée depuis longtemps. On n’ignorait ni ses origines, ni son caractère général, ni son but. On ne savait pas absolument en quoi elle consistait, sous quelle forme et dans quelles limites elle avait été conclue. On sait maintenant qu’il y a un traité qui date de l’automne de 1879, qui a été signé pour cinq ans, et par une particularité au moins piquante, c’est au moment où M. de Giers faisait sa tournée de Berlin, de Rome, de Vienne, que le traité a été révélé.

Quel rapport y a-t-il entre ces déplacemens, ces entrevues, ces révélations et toutes ces polémiques allemandes des dernières semaines? M. de Bismarck, en laissant publier un traité qui est son œuvre, a-t-il voulu répondre indirectement à des propositions russes ou avertir l’Autriche et préparer d’avance le renouvellement d’une alliance à laquelle il tient visiblement? Tous ces incidens enfin sont-ils le signe de difficultés intimes au centre du continent, de prochains remaniemens dans les rapports des cabinets, de complications imminentes? Il est assez vraisemblable qu’on a fait beaucoup de bruit pour rien, que pour célébrer la fin de l’année on s’est un peu trop échauffé sur toutes ces combinaisons éventuelles, problématiques de guerre ou de diplomatie, et, à défaut d’autre lumière, on a du moins les déclarations récentes du président du conseil de Hongrie, M. Tisza,