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l’état, sur la réorganisation ou la désorganisation de l’armée, sur la réforme ou la prétendue réforme de la magistrature, sur la mairie centrale de Paris. Il croyait peut-être en ajournant, en prenant le temps pour complice, diminuer ou faire oublier les difficultés ; il ne faisait, au contraire, que les aggraver en les laissant grandir et se préparer à lui-même l’humiliante alternative de céder jusqu’au bout, — toujours avec modération, — ou de ne pouvoir opposer à la dernière extrémité qu’une résistance impuissante, à demi désarmée. Ce n’était pas un gouvernement, c’était l’absence de gouvernement, et ce qu’il y avait de dangereux pour la France, c’est qu’il n’y avait pas plus de direction dans la politique extérieure que dans les affaires intérieures. M. Gambetta avait pu, sans doute, se montrer un peu emporté, un peu aventureux, et porter son inconsistance agitée dans une politique où il aurait fallu plus de suite et de prudence. M. de Freycinet, pour éviter de ressembler à son prédécesseur, pour se dégager de la politique de M. Gambetta, se réfugiait dans un système de perpétuelles irrésolutions. Que se proposait réellement M. de Freycinet dans ces affaires d’Égypte, qui, au moment de son arrivée au pouvoir, prenaient d’heure en heure plus d’importance ? Évidemment, il ne l’a jamais bien su lui-même, et dans tous les cas, il n’a jamais osé se décider. Il négociait avec l’Angleterre pour ne rien faire et avec l’Europe pour se mettre à l’abri d’une délibération collective. Un jour, il se prêtait à quelque démarche d’ostentation à Alexandrie, puis il se retirait comme effaré. Il se payait de demi-mesures, de demi-démonstrations, de demi-coopérations, pour lesquelles il demandait des crédits équivoques et mal définis. Il semblait toujours agité de la crainte méticuleuse d’une responsabilité précise, avouée devant le parlement, et il finissait par exposer la chambre à voter les yeux fermés l’abdication de la France dans ces affaires d’Égypte, où l’Angleterre seule allait avoir désormais toute liberté.

Que signifiait ce vote presque unanime du mois de juillet, qui en décidant la retraite de la France, l’abandon de toute une politique traditionnelle en Égypte, atteignait du même coup le gouvernement qui l’avait provoqué ? On serait bien embarrassé de le dire : il pouvait signifier que le gouvernement s’était déjà trop avancé ou bien qu’il n’avait pas su agir utilement et à propos pour les intérêts de la France. Ce qui est certain, c’est que le ministère Freycinet succombait pour n’avoir pas osé avoir une opinion. Il disparaissait brusquement comme le cabinet qui l’avait précédé, mais d’une manière plus humiliante, laissant à son tour les affaires plus compromises, une situation parlementaire plus troublée, les intérêts extérieurs et intérieurs du pays plus amoindris, et c’est dans ces conditions que naissait un troisième ministère, — celui qui existe encore. Pour celui-là, pour ce nouveau