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fils du grand-maître de la police, il était perdu: impossible de prouver son innocence et surtout de la faire triompher. Mais qui donc l’a perdu? Fèdora s’efforce de le détourner de cette pensée; elle lui parle de l’avenir. Elle l’échauffe de sa passion, si bien qu’il craint de rester plus longtemps avec elle; ils sont jeunes, ils s’aiment, elle doit être sa femme; la nuit s’avance; il veut se retirer. Mais, derrière la porte, Gretch est là, qui le tuera. N’a-t-il pas reçu de Pétersbourg l’ordre de le ramener mort ou vif? N’est-il pas averti qu’il doit se défier de la princesse? Toutes les issues ne sont-elles pas gardées ? les valets consignés dans leurs chambres? Fèdora ne peut sauver Loris qu’en le retenant jusqu’au jour; elle le retient, elle le sauve comme Valentine, des Huguenots, voudrait sauver Raoul : la chambre de Fèdora n’a pas la fenêtre par où Raoul s’échappe pour se jeter au-devant des assassins.

Après ce troisième acte, il semblait que l’intérêt du drame fût épuisé; M. Sardou a trouvé cependant des ressources inespérées de pathétique. Fèdora et Loris ont fui jusqu’à Londres les embûches de la police russe. Là, une triste nouvelle vient surprendre la princesse. Exaspéré par une démarche faite en faveur de Loris, Yarischkine, dont le crédit chancelle et qui veut profiter de ses derniers jours, a fait arrêter Valérien Ypanof et Platon Sokolef, les prétendus complices naguère dénoncés par Fèdora: les savait-il innocens? Peut-être. On les a trouvés noyés dans leur cachot par une crue de la Neva. La mère de Valérien et de Loris, vieille et paralytique, est morte de chagrin. Cependant Loris ignore ces nouveaux malheurs. Après une absence d’une semaine, il trouve chez Fèdora une dépêche et une lettre, l’une et l’autre d’un ami. La dépêche, arrivée depuis plusieurs jours, lui annonce sa grâce et la restitution de ses biens. C’est un répit de joie qui précède l’extrême désespoir. La dépêche se termine par ces mots : « Yarischkine disgracié. J’ai la lettre. » Quelle lettre? Celle-ci donnera peut-être le mot de l’énigme. Elle raconte d’abord la grâce demandée, la chute prévue d’Yanschkine; elle apprend à Loris qu’il a été dénoncé par une femme, par une Russe habitant Paris; l’ami qui trace ces lignes, Borof, connaît le prénom de cette femme, mais le prénom seulement; il ne le révélera qu’après la délation prouvée, et de vive voix seulement; il sait qu’Yarischkine a une lettre de cette femme; si le ministre tombe, il trouvera cette lettre. En un premier post-scriptum, la mort de Valérien et de son ami, la mort de sa mère sont annoncées. En un second, c’est la chute d’Yarischkine, la découverte de la lettre, le départ de Borof pour Londres. Quand arrivera-t-il ? Aujourd’hui même, tout à l’heure.

On devine, au cours de cette lecture, les émotions de Loris ; sa