en inscrivant d’abord en tête de la pièce quelqu’un de ces sous-titres que j’énumérais tout à l’heure. J’estime au moins superflu de suspecter leur bonne loi; mais je voudrais les rassurer sur les raisons de leur plaisir.
Mélodrame, qu’est-ce à dire? Je n’ai pas cette chance, on peut m’en croire, d’ignorer ce que c’est qu’un mélodrame. C’est un gros ouvrage bourré de matière et farci d’événemens, une suite fort longue et précipitée par endroits d’actions singulières dont les mobiles n’ont que peu d’importance; une série d’accidens, une cascade artificielle de crimes et de châtimens, une machine considérable, dont les ressorts s’engrènent et se meuvent devant nos yeux pour nous donner le plaisir de les voir s’engrener et se mouvoir et d’entendre leur bruit; un va et-vient, un conflit d’automates qui déclament en style boursouflé une contrefaçon de tragédie; une tragédie sans esprit tragique et sans esprit d’aucune sorte, une œuvre inanimée, toute mécanique et brute qui ne donne l’illusion de la vie qu’aux spectateurs les plus grossiers, et n’est rien de plus, en fin de compte, que le Guignol des grands enfans. Or Fèdora est un drame en quatre actes qui durent deux heures à peine; encore dirait-on mieux : en un prologue et trois scènes, et l’on devrait ajouter : à deux personnages. Ces deux personnages, qui demeurent tout seuls sur le théâtre pendant presque tout le drame, ne peuvent guère, comme on pense, nouer qu’une intrigue fort simple. Loin de s’exprimer en tirades pompeuses, ils échangent des répliques si nettes et si brèves que leur dialogue, par momens, se réduit presque à une pantomime. Cette pantomime, d’ailleurs, n’est que l’expression de divers états d’âme si clairement aperçus que le spectateur devine le mot qui accompagne le geste; le geste et le mot n’ont qu’une valeur de signe, et non de mouvement ou de son : point de parade ici et point de déclamation. Il est difficile de maintenir là contre que Fèdora soit un mélodrame.
Est-ce un drame judiciaire? Sur ce chapitre, on peut s’entendre. Supposez le sujet que voici: Un jeune homme a épousé une veuve, plus âgée que lui de vingt ans; le premier mari de cette femme a été assassiné, l’assassin n’a jamais été découvert ni même sérieusement recherché; quinze années après son mariage, pour telle et telle raison qu’il est facile d’imaginer, le second mari se met en tête de découvrir l’assassin du premier; il mène l’enquête de degré en degré, avec la meilleure foi du monde, jusqu’au bout; il trouve à la fin qu’il est l’assassin de cet homme et que cet homme était son père; il est le mari de sa mère; il est parricide, incestueux, père de ses frères et sœurs, frère de ses enfans; sa mère, sa femme, — de quel nom l’appeler? — se tue et il veut se tuer... C’est un drame judiciaire : c’est aussi Œdipe roi.